Le poids des kilos
Le 12 février 2025
Sans jamais verser dans le complaisant, le grotesque ou le monstrueux, La Vie, en gros touche par son histoire simple, ses personnages attachants et sa douce esthétique.


- Réalisateur : Kristina Dufková
- Genre : Animation
- Nationalité : Français, Tchèque, Slovaque
- Distributeur : Les Films du Préau
- Durée : 1h20mn
- Date de sortie : 12 février 2025
- Festival : Festival d’Annecy 2024

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– Prix du Jury dans la catégorie Contrechamp au Festival d’Annecy 2024
Résumé : C’est la rentrée. Ben trouve que ses camarades ont changé. Il aimerait que Claire s’intéresse à lui mais son poids le complexe. Cette année scolaire les fera tous grandir et comprendre que l’essentiel n’est pas à quoi on ressemble mais ce que l’on ressent…
Critique : Adapté du désormais célèbre roman de Mikaël Ollivier, lauréat du Prix du Jury dans la catégorie Contrechamp au Festival d’Annecy 2024, La Vie, en gros est le premier long-métrage que la cinéaste Kristina Dufková (coréalisatrice du Jardinier qui voulait être roi, sorti en 2012) réalise seule.
Si l’obésité est aujourd’hui plus que jamais un sujet de santé publique dont l’État ne semble pas encore s’être vraiment emparé, le film surprend en ce sens qu’il saute, comme un poisson dans l’herbe, par-dessus tous les pièges artistiques et théoriques que tendait la thématique qu’il aborde.
- Copyright Les Films du Préau
Alors que l’obésité de Benjamin aurait pu faire verser le récit dans le misérabilisme et nous amener à une conduite d’apitoiement, les premières secondes du film donnent le ton jovial et plein d’humour de cette charmante histoire. Tel un Serge Gainsbourg des temps modernes, Ben comble les désavantages sociaux de son physique disgracieux par une répartie à dérider Tatie Danielle.
L’on devine d’ailleurs toute la tendresse qu’éprouve la réalisatrice à l’égard de son héros : son visage rond et cependant uniforme contraste avec ceux taillés à la serpe des antagonistes – du prof de gym rigide à l’infirmière scolaire brute de pomme en passant par les frères de Claire, la fille dont il est secrètement amoureux.
Si certaines séquences mettent en scène le rapport excessif du protagoniste avec la nourriture riche et ultra-transformée, La Vie, en gros met surtout en évidence la dimension essentiellement psychologique de sa pathologie. Dimension que manifeste joliment l’animation en volume.
- Copyright Les Films du Préau
Plus que la maladie de Ben, dont l’incidence psychique est principalement mise en scène par de courtes séquences en animation 2D, c’est la délicatesse de la photographie, aux jolis tons pastel, qui frappe en premier lieu les yeux du spectateur. Tenue d’un bout à l’autre du film, cette douceur de la lumière et des décors, associée à l’autodérision de Ben, permet de désamorcer les effets pathétiques et, de fait, néfastes des scènes de moqueries et d’humiliation auwquelles celui-ci est confronté au quotidien.
Soutenu par ceux qui l’aiment, porté par sa passion pour la musique, ses espoirs et ses aspirations d’adolescent, Benjamin est bel et bien le héros de son histoire. Par sa force de caractère et son intarissable soif de vivre, il porte haut et fort la parole silencieuse d’une population encore stigmatisée.
Entretien avec Kristina Dufková, Mikaël Ollivier et Petr Jarchovský
C’est au balcon d’un café que la réalisatrice Kristina Dufková, le romancier Mikaël Ollivier et Petr Jarchovský nous ont donné rendez-vous pour parler de La Vie, en gros, un film qui a su toucher les festivaliers d’Annecy en 2024.
Kristina, pourquoi avoir choisi d’adapter le livre de Mikaël Ollivier ?
Kristina Dufková : Je cherchais l’inspiration pour mon prochain projet. J’ai acheté le livre de Mikaël à ma fille, qui entre dans l’adolescence. J’ai trouvé que le sujet du livre et les thèmes qu’il aborde étaient très pertinents et intéressants pour tous les enfants.
Mikaël comment avez-vous accueilli le projet d’adaptation de Kristina ?
Mikaël Ollivier : Comme une belle surprise. J’étais à Prague pour faire la promotion du livre qui venait d’être traduit en tchèque. L’éditrice a organisé la rencontre avec Kristina. Nous avons discuté pendant deux heures dans un restaurant. Elle m’a parlé de son projet de faire un film d’animation, et j’ai tout de suite su qu’elle était la bonne personne, car tout ce qui, dans le livre, comptait pour elle, comptait pour moi.
Kristina, pour quelle raison avez-vous choisi d’adapter cette histoire en film d’animation, et particulièrement en stop motion ?
K.D : J’ai tout de suite pensé que cette technique serait la meilleure pour raconter cette histoire, que ce serait une excellente manière de passer de l’écrit à l’écran. J’aime particulièrement mêler différentes techniques d’animation, comme le stop motion et le dessin par exemple. Ben était particulièrement intéressant à travailler, car il est obèse, et en même temps il est très sympathique.
Qu’est-ce qui vous a touché dans le roman de Mikaël ?
K.D : En premier lieu, l’atmosphère du livre, mais aussi la transition du personnage principal de l’enfance vers l’adolescence.
M.O : Ben utilise l’humour et l’autodérision pour se protéger. Lorsque vous êtes obèse comme lui, c’est bien souvent les seules armes que vous avez.
Petr, quels outils avez-vous utilisés pour écrire le scénario du film à partir du livre ?
Petr Jarchovský : Je suis scénariste depuis trente ans, mais c’est la première fois que j’ai l’opportunité d’écrire un film d’animation. J’ai demandé conseil à des amis car c’est un travail différent des films en prises de vues réelles. Quand vous faites une comédie avec de vrais acteurs, par exemple, vous n’avez qu’à écrire les didascalies que les acteurs n’auront plus qu’à suivre, en allant parfois même plus loin que ce que vous aviez écrit. Avec l’animation, il faut écrire de manière beaucoup plus rigoureuse et détaillée car il ne peut y avoir aucune improvisation avec le stop motion.
Kristina, en regardant votre film, j’ai eu presque l’impression qu’il aurait pu être réalisé par Henry Selick. Pouvez-vous nous parler de vos influences ?
K.D : Les moyens et les conditions pour réaliser La Vie, en gros ne sont pas du tout ceux dont disposent Henry Selick (rires) mais nous avons fait de notre mieux. Nous avons eu la chance de réunir une équipe talentueuse et passionnée. Nous avions beaucoup à apprendre, mais Marc Faye (l’un des producteurs du film, ndlr) a été d’une aide précieuse quant au travail du stop motion, étant donné son expérience en cinéma d’animation.
Mikaël, ce roman est autobiographique. Son écriture avait-elle une dimension thérapeutique ?
M.O : Inconsciemment, oui. Quand j’avais quinze ans, j’étais obèse et amoureux, mais je n’arrivais pas à perdre du poids. À trente ans, j’ai écrit ce livre, et après ça j’ai perdu quarante kilos en deux ans. Le livre a donc été une meilleure thérapie que l’amour, mais ce n’est pas pour cela que je l’ai écrit. Je l’ai écrit car j’aime raconter des histoires et je m’inspire beaucoup de ma propre vie pour écrire des histoires qui, parfois, en sont très éloignées. Il se trouve que La Vie, en gros est très proche de ma vie.
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Le film met en évidence que les personnes obèses qui suivent les régimes traditionnels ont beaucoup de mal à perdre du poids. Comment expliquez-vous cela ?
M.O : Dans le film, le père de Ben explique très bien à son fils que les personnes obèses sont des personnes au régime. J’ai essayé tous les régimes possibles, mais il y a une dimension psychologique très forte. Si j’ai perdu quarante kilos après avoir écrit ce livre, c’est surtout parce que j’ai changé de vie. Puis après j’ai repris, puis j’ai reperdu. Les régimes, c’est l’histoire de ma vie.
Quel est votre personnage préféré ?
K.D : J’aime beaucoup le personnage de Sophie. Elle est très gentille, très drôle et surtout très bienveillante envers Benjamin. La mère de Ben me plaît beaucoup aussi, car elle soutient vraiment son fils dans son combat pour perdre du poids.
M.O : Je suis définitivement tombé amoureux une seconde fois de Claire (rires).
P.J : J’aime particulièrement le père de Ben. Il était important pour moi que l’histoire ne soit pas seulement celle d’un garçon obèse qui se bat pour perdre du poids et finit par en perdre comme le ferait un film hollywoodien. Il s’agissait surtout de montrer que le combat contre l’obésité est un cheminement intérieur et qu’il est important de s’entourer de personnes qui vous soutiennent. C’est grâce à cela que l’on peut y arriver.
Il est vrai que Benjamin a un rapport compliqué avec la nourriture, mais son obésité vient probablement d’un problème plus profond.
M.O : Je suppose que c’est en partie parce que ses parents sont divorcés et qu’il cherche sa place dans le monde et parmi les autres enfants.
Quel regard portez-vous sur les antagonistes du film ?
P.J : Pour moi, les plus grands antagonistes du film sont les enseignants, qui passent leur temps à humilier Ben alors qu’ils devraient le soutenir et l’encourager.
K.D : Il y a trois types d’antagonistes : les enseignants, qui humilient Ben ; Max, qui est très jaloux de sa relation avec Claire ; et enfin, il y a Ben lui-même, qui a tendance à se faire du mal, à se torturer l’esprit.
Kristina, avez-vous un nouveau projet de film ?
K.D : Je n’ai pas encore de projet précis, mais je sais que mon prochain film sera un film sur l’enfance et pour les enfants.
Propos recueillis par Arthur Champilou à Annecy le 13 juin 2024
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