Le 28 février 2025
Si le sujet est d’une éminente utilité mémorielle à l’heure où les antisémitismes en tout genre se répandant dans nos sociétés, le traitement trop classique de Nils Tavernier laisse le spectateur sur sa faim.


- Réalisateur : Nils Tavernier
- Acteurs : Sandrine Bonnaire, Bernard Le Coq, Guillaume Gallienne, Laurent Bateau, Adeline d’Hermy, Rod Paradot, Claude Mathieu, Violette Guillon
- Genre : Drame, Historique, Drame historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Apollo Films
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 26 février 2025

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Résumé : En 1942, Tauba, une adolescente pleine d’énergie, échappe de justesse avec ses parents à la rafle du Vel d’Hiv. Un couple, les Dinanceau, leur propose de les cacher provisoirement dans un minuscule débarras de leur immeuble, sous les toits de Paris, le temps que les choses se calment. Malheureusement, ce qui devait être temporaire s’éternise, et la famille s’enfonce dans le silence et l’immobilité. Mais Tauba est une battante, et rien ne l’empêchera de bousculer son destin.
Critique : Tout le monde devrait avoir en tête l’horreur du Vel d’Hiv en 1942 où nombre de familles innocentes se sont retrouvées aux prises de l’horreur nazie, légitimée par le gouvernement français en place, et ont péri dans une inhumanité inqualifiable. La vie devant moi s’inscrit justement dans le témoignage réel de Tauba Birenhaum, filmée par Spielberg lui-même, dont le cauchemar commence en plein été 42 à Paris et se termine dans la joie de la libération de la capitale. Car cette famille modeste d’origine polonaise, non pratiquante, a été hébergée dans ce qui serait aujourd’hui une chambre de bonne, sous les combles d’un immeuble, par le couple des Dinanceau, afin d’échapper pendant près de deux ans aux arrestations impitoyables de la police française, aux ordres du ministre Laval et de l’empire despote allemand.
- Copyright Vincent Tessier - Bonne Pioche Cinéma, Apollo Films Distribution, Federation Pictures - 2024
Évidemment, il ne faut jamais banaliser une telle histoire même si elle a été maintes fois reprise au cinéma ou en littérature. Et pourtant, prendre le risque de mettre en scène ce récit historique nécessite de la part du réalisateur un véritable moteur d’inventivité et de novation. Et c’est sans doute là que le bât blesse. En effet, le long-métrage raconte avec une certaine empathie le calvaire d’une famille restée enfermée pendant près de deux ans dans un bout d’appartement, froid, avec les toilettes sur le palier, assistant depuis une minuscule fenêtre à l’histoire de l’Europe qui s’écrivait sous leurs yeux. Les arrestations sommaires pleuvent, pendant que la faim et le dégoût de la guerre s’emparent des Parisiens. Le projet de Nils Tavernier est absolument digne d’intérêt mais il y a quelque chose dans la mise en scène qui ne permet pas à ce témoignage d’utilité publique de prendre toute son épaisseur sur l’écran.
Nils Tavernier fait preuve d’une grande sagesse, voire d’une étonnante timidité dans sa mise en scène. Le film protège les acteurs qui restent propres tout au long du film, jusque la coiffure ou la barbe qui ne bougent pas d’un poil. Et pourtant, on imagine qu’un tel enfermement dans dix mètres carrés aurait raison de l’état sanitaire et physique de quiconque. De temps en temps, une crise de larmes émerge entre les protagonistes, mais si courte, si furtive, qu’elle est vite oubliée dans ce qui ressemble à un conte de fées historique. On pourrait penser que le comédien Guillaume Gallienne est capable de bien mieux, mais il est retenu comme les autres interprètes dans une succession de scènes qui n’incarnent absolument pas l’intensité du calvaire que la famille endure.
- Copyright Vincent Tessier - Bonne Pioche Cinéma, Apollo Films Distribution, Federation Pictures - 2024
La vie devant moi aurait dû être un film sur la peur et l’ennui. Il est vrai que mettre en scène l’enfermement, la vacuité du temps qui passe relève de l’exploit artistique. Hélas, même si Nils Tavernier s’en donne les moyens, il ne parvient guère plus que retracer l’écoulement du calendrier, sans que le spectateur ne prenne vraiment la mesure de la cruauté du vide qui s’abat sur cette famille recluse malgré elle. Le réalisateur se contente finalement d’une mise en scène très polie, proprette, sans risque, qui laisse au spectateur un goût assez amer. Car personne ne peut nier que le témoignage de la barbarie nazie et de l’Occupation mérite un traitement beaucoup plus intense.
La vie devant moi demeure du coup une œuvre assez fade, aux antipodes de ce que l’héroïne principale a dû subir. Curieusement, si la faim est évoquée, elle ne semble impacter aucun des personnages qui résistent à la pénurie totale et à la pauvreté dans un embonpoint suspect. L’émotion qui se dégage de ces personnages reste très contenue, même si l’on ne peut s’empêcher d’admirer le courage de la famille Dinanceau, capable tout à la fois de protéger une famille juive et de dénoncer son propre enfant qui a déserté l’armée nazie. Nils Tavernier demeure avant tout un brillant documentariste et le détour par la fiction ne semble, pour le coup, pas vraiment le réussir.