Le 10 septembre 2002

La décadence d’une société qui s’est toujours voulue exemplaire aux yeux du monde. Le roman de Philip Roth dissèque les tourments et les souffrances de l’Amérique moderne.
Résumé : Ce que ce pays a construit après les années cinquante apparaît ici comme la décadence d’une société qui s’est toujours voulue exemplaire aux yeux du monde. Roth boucle sa trilogie. Les deux autres volumes de Philip Roth sur l’identité de l’individu dans les grands bouleversements de l’Amérique d’après-guerre, [{Pastorale américaine}->2360] et {J’ai épousé un communiste}, ont également été édités chez Gallimard. Ils dénoncent l’Amérique du silence, du secret, des complots et de l’hypocrisie.
Coleman Silk a longtemps régné en maître sur le département de lettres classiques de l’Université d’Athena. Accusé de racisme par plusieurs étudiants pour des propos mal interprétés lors d’un cours, le vieil homme est renvoyé sans parvenir à se justifier. Après deux années passées à tenter de rédiger Zombies, un roman livrant sa version des faits, il charge Nathan Zuckerman d’écrire son histoire. Le romancier va percer à jour les secrets de ce professeur énigmatique, cultivé et charmeur.
Dès lors, Zuckerman pénètre dans l’antre d’une histoire complexe et douloureuse, subtilement calquée sur celle d’un pays en crise. Il découvre que l’enfance de Coleman n’est qu’une succession de combats pour parvenir à exister et s’affirmer. Élève brillant, boxeur de haut niveau, amoureux de la littérature et des femmes (ses Voluptés), le jeune homme cumule les succès jusqu’au jour où il prend une décision extrême, brisant définitivement les liens l’unissant à sa famille : sa vie d’adulte sera bâtie sur un mensonge.
Roth exhume ici l’Amérique malade de son passé. Mélange de voix, de parcours, de destins, La tache s’inscrit comme le récit des traumatismes d’une civilisation en crise. Les séquelles psychologiques de la guerre du Vietnam, la putréfaction d’une société ne réglant ses comptes qu’à travers des procès retentissants, le combat des classes défavorisées, l’omniprésence du racisme et toute la dérision de l’affaire Clinton-Lewinsky fournissent à Roth de quoi illustrer allègrement son propos. Les personnages se croisent, se côtoient, se détestent avant même de se connaître, sont empêtrés dans leurs contradictions, perdus dans l’époque des apparences, des scandales et des idées préconçues.
Au final, seul le passé revêt de l’importance au regard de ce qui continue de construire ces hommes et ces femmes. Tous tentent de s’extraire de leur propres souffrances sans jamais y parvenir, essayant en vain de chasser leurs démons pour mieux affronter le présent. L’Amérique triomphante dégringole de son
piédestal, en silence, tel un gigantesque château de cartes renversé par un vent léger. Pourra-t-elle s’en relever ?
Philip Roth, La tache, (The human stain, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun), Gallimard, coll. "Du monde entier", 442 pages, 22,50 €