Le 27 février 2020
Joseph Incardona, finaliste du Grand Prix RTL/Lire, signe un roman étonnant, reposant sur un système de cause à effet assez bluffant.
- Auteur : Joseph Incardona
- Editeur : Finitude
- Genre : Roman
- Prix : Grand Prix RTL/Lire
- Date de sortie : 2 janvier 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
- Festival : Rentrée littéraire 2020
Résumé : On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM. À Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi. De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi brillante qu’implacable. Pour le monde de la finance, l’amour n’a jamais été une valeur refuge.
Notre avis : Sur fond de guerre froide, les héros – qui n’en sont pas – se débattent avec leur désir, leurs pulsions, leur aspiration à la richesse. Les personnages se croisent, se jaugent, le pouvoir passe de l’un à l’autre, en constant mouvement. Rien n’est stable, tout peut basculer, à n’importe quel moment.
Entre histoire d’amour, satire du monde de la finance et roman policier, La soustraction des possibles est une réussite, un mélange des genres pensé par un esprit génial. Joseph Incardona, à la fois auteur et narrateur de ce récit, joue avec les codes, avec ses personnages : il sait ce qui leur arrivera, ce qui les guette, et il n’y a pas de faux-semblants dans son écriture. Jamais il prétend ignorer leur sort, et paraît lucide à tout instant et même honnête avec le lecteur. Ne pas faire semblant, disséminer quelques indices sur leur destin, çà et là, juste assez pour donner envie de continuer à tourner les pages. Rien n’est certain, mais tout est joué d’avance. Il dialogue avec ses personnages, échange parfois avec eux, connaît tout d’eux puisque ce sont ses créations, créations qui sont faites de chair, de sang et d’instinct, et non d’encre, de papier et de mots.
Les flux financiers transitent, les relations se nouent, teintées de danger et de tension, mais aussi d’appât du gain et de promesses de billets. Jeu de rôles, illusions, apparences et bluff devront être de la partie et ce sera à celui qui manie le mieux tous ces outils. Additionner et soustraire, pas seulement les chiffres et l’argent sur un compte, mais aussi les personnages, l’influence des uns sur les autres, les actions de chacun ayant une répercussion sur l’existence de tout ce microcosme. Tels des rouages imbriqués, à la fois libres et dépendants de l’ensemble du système, ils lui permettent de continuer à tourner et le moindre faux pas, le moindre choix contradictoire menaçant la machine risque de voir le rouage sauter… Tout calculer, partout tout le temps.
Joseph Incardona s’amuse également avec la feuille qui est devant lui, qui lui sert de support. Qui a dit que la langue était le seul matériau à travailler pour un écrivain ? L’espace, les parenthèses, les sauts de ligne, voilà que tout prend sens, grâce à cet auteur suisse dont la renommée n’est plus à faire.
Joseph Incardona - La soustraction des possibles
Finitude
400 pages
14,5 x 22 cm
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Kirzy 14 février 2021
La soustraction des possibles - la critique du livre
J’avais été très impressionnée par la noirceur atypique de Derrière les panneaux il y a des hommes. Je le suis encore par La Soustraction des possibles tant ce roman a du souffle et de l’ampleur pour raconter notre époque, bien au-delà du simple roman noir, mais toujours avec la même radicalité explosive et une plume au vitriol qui plaira ou pas.
De l’ampleur, assurément avec cette fresque ambitieuse qui se déploie telle une tragédie grecque dans l’univers des golden boys de la finance suisse à la fin des années 1980.
Dès le prologue, bref et fort, l’auteur se place en coryphée pour dire tout ce que seront les actes à suivre, tout ce qu’ils ne seront pas. Les mots clefs tiltent dans la tête du lecteur : fortune – crime – trahison – châtiment – désir – truands – vanité et ambition. Tout est annoncé. Assurément. Mais ce sera avant tout une histoire d’amour. Tragique, forcément tragique. En trois actes.
Dès les premières pages, on est saisi par l’âpreté terrible qui suinte derrière chaque mot pour présenter les personnages principaux : Aldo, le prof de tennis gigolo obsédé par l’argent qui n’a pas et convoite ; Svetlana, la jeune banquière qui comme lui à la rage de réussir chevillé au corps ; Odile, quinquagénaire désespérée, épouse richissime d’un banquier genevois. Leurs portraits, ainsi que ceux de tous les autres personnages qui vont graviter autour ( banquiers, mafieux, proxénètes, avocats ) sont incroyables, bien au-delà des caricatures habituelles et transforme le premier acte en véritable comédie humaine à la Balzac, trempée à l’encre noire.
Le deuxième acte bascule dans le thriller avec la combine géniale que croit monter Aldo et Svetlana au diapason de la passion amoureuse qui les emporte. le rythme s’accélère, le suspense happe. On est comme au cinéma, version ultra nerveuse. L’écriture est de plus en plus acéré. Joueuse aussi car Joseph Incardona continue à se la jouer coryphée avec ses apartés au lecteur / spectateur qui prennent des allures de sentences prophétiques, souvent drôles, toujours impitoyables.
Tout se fracasse dans le troisième acte comme on le pressentait dès le départ. C’est là que le talent de constructeur de l’auteur se mesure le plus. Tous les engrenages mis en place lors des actes précédent s’enchâssent implacablement. le roman devient une machine infernale à broyer ceux qui ont succombé à l’hybris, ces dominés qui ont naïvement cru qu’ils pouvaient duper les dominants, ses professionnels de la magouille financière, pour s’arroger le pactole.
Cette façon de dépecer à l’os l’homme et la société capitaliste qu’il a créé, est absolument brillante et hisse Joseph Incardona en moraliste affuté doublé d’un styliste hors pair.
J’ai vibré. Peut-être aurais-je aimé vibré plus, dans le sens de m’enflammer pour des personnages.
Finalement, ce n’est ni Aldo, ni Svetlana, malgré leur histoire d’amour à la Bonnie & Clyde, qui ont fait battre mon coeur ... inattendu, mais ce fut Odile, l’épouse fortunée et désoeuvrée qui redécouvre l’amour en la personne d’Aldo, lucide Odile qui sait que ce n’est pas réciproque et juste une histoire de fric, mais qui s’accroche comme une midinette :
« Elle pressent jouer ses dernières cartes. Elle a connu cette même intensité, il y a une trentaine d’années, cet accélérateur de particules qu’est la passion. René ( son mari ) n’était pas l’homme en question, mais un amour de vacances aux doigts fins et aux caresses subtiles ; René est venu après, son plus grand mensonge. L’arrogance de la jeunesse, sa beauté, lui laissaient croire qu’elle aurait l’essentiel : richesse, maternité, réussite sociale. Elle a simplement oublié l’amitié et l’amour, la connivence, l’éclat de complicité jubilatoire dans l’oeil de l’autre, l’odeur de sa peau. Ces phéromones leviers de l’univers. Il y a l’épiderme auquel on s’efforce de s’habituer avec le temps, et puis l’autre, celui qu’on lèche comme une évidence dès la première fois, dont on s’enivre et qui nous brûle.
Odile a choisi, oubliant la peau. La langue sur la peau. le goût de celui qu’on avale. Celui qu’on choisit dans son ventre.
Sauf que l’amour est revenu. Il a traversé les âges comme l’os lancé par le singe dans le film de Kubrick. Elle avait anticipé un adultère maitrisé, s’offrir le professeur de tennis comme un nouveau tailleur, mais pas cette déferlante d’hormones ayant pénétré par effraction, s’insinuant et rampant, bouleversant les équilibres, renversant les barrières sociales et psychologiques."