Le premier long métrage africain
Le 20 septembre 2024
Ce récit d’une aliénation révéla le talent du cinéaste sénégalais Ousmane Sembène. Du grand art !
- Réalisateur : Ousmane Sembène
- Acteurs : Mbissine Thérèse Diop, Anne-Marie Jelinek, Robert Fontaine, Toto Bissainthe
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Sénégalais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h05mn
- Reprise: 9 octobre 2024
- Date de sortie : 5 avril 1967
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : À Dakar, Diouana, une jeune Sénégalaise, est embauchée comme gouvernante par une famille de Blancs. Lorsque la famille rentre en France, la femme prie Diouana de les suivre. À Antibes, elle devient la bonne à tout faire : tout contact avec les enfants lui est retiré...
Critique : Premier long métrage d’Ousmane Sembène, La Noire de... est d’une durée de 65 minutes, format choisi pour obtenir l’aval du CNC, le cinéaste n’étant pas encore à l’époque en possession d’une carte professionnelle. Auparavant, le réalisateur sénégalais avait signé Borom sarrett (1962), court métrage néoréaliste dans lequel il utilisait l’arme de la critique sociale. Celle-ci est beaucoup plus manifeste dans La Noire de... qui est considéré comme la première date-clef de l’histoire du cinéma africain. Influencée par l’art des griots et la culture orale, l’œuvre est un poème incantatoire et militant, les plaintes de Diouana faisant l’objet d’un commentaire en voix off déclamé par l’actrice haïtienne Toto Bissainthe.
- © 2024 Les Acacias. Tous droits réservés.
Tourné à Dakar et à Antibes, le film détourne le manque de moyens financiers en se centrant sur le sentiment d’enfermement et d’aliénation ressentie par la jeune femme, quasiment cloîtrée dans la maison de ses patrons. Déracinée et exploitée, elle se réfugie dans un silence de protestation, tenant tête avec obstination à sa maîtresse. Mbissine Thérèse Diop, étoile filante du cinéma africain, traduit avec nuances le trouble qui anéantit progressivement son personnage. En fait, Ousmane Sembène, qui a cherché à s’affranchir des canons narratifs et esthétiques occidentaux, s’est livré à plusieurs attaques dans son scénario. En premier lieu, La Noire de... est une charge virulente contre le néocolonialisme, le racisme décomplexé de Madame et Monsieur reflétant l’arrogance des puissances du Nord, surfant entre le paternalisme et l’humiliation avec une aisance incroyable. Accessoirement, le récit met en exergue l’attitude de la nouvelle bourgeoisie noire, imitant ostensiblement les comportements des Blancs, un thème que le cinéaste développera dans ses films ultérieurs, dont Xala (1975).
Enfin, la coopération technique entre la France et l’Afrique est dénoncée à travers le personnage de Monsieur, ingénieur pour une société implantée à Dakar, dont la lâcheté, l’aveuglement et l’opportunisme ne semblent pas de bon augure pour le peuple africain. Ces prises de position ne sont pas martelées à coups de serpe, Ousmane Sembène préférant l’allégorie et l’art de la suggestion, à l’exception des séquences qui montrent les rapports entre Madame et Diouana. On songe ici à l’univers oppressant des Bonnes de Jean Genet, plus qu’à la verve corrosive d’un Bertrand Tavernier dans Coup de torchon. Le film est par ailleurs subtil dans l’usage des symboles, à l’image du masque de l’enfant, simple objet utilitaire au début de l’intrigue, et qui deviendra un outil de protestation.
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Ousmane Sembène a également proposé une autre version de son film, 30 minutes supplémentaires de scènes en couleur révélant les rêves de libération et de bonheur de Diouana. Il les a par la suite retirées, préférant donner une vision davantage pessimiste, et conforme aux frustrations du continent africain. L’œuvre fut très bien accueillie à sa sortie, et remporta plusieurs récompenses méritées, dont le Prix Jean Vigo. La Noire de... a été restauré par The Film Foundation pour le World Cinema Project, en collaboration avec le Sembène Estate et les laboratoires Éclair. Le travail a été mené à la Cineteca di Bologna/L’Immagine Ritrovata Laboratory. C’est tout à l’honneur de Cannes Classics d’avoir présenté cette copie restaurée qui donne envie de (re)découvrir Ceddo, Mooladé et autres films de ce cinéaste majeur toujours en activité.
– Prix Jean Vigo 1966
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