Festival cinémas d’Afrique 2024
Le 17 août 2024
Dans un film essentiel longtemps interdit en France, Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow rendent hommage aux tirailleurs victimes du massacre de Thiaroye.
- Réalisateurs : Ousmane Sembène - Thierno Faty Sow
- Acteurs : Sidiki Bakaba, Ibrahim Sane, Jean-Daniel Simon, Ismaël Lô
- Genre : Drame, Historique, Drame historique
- Nationalité : Sénégalais, Algérien, Tunisien
- Durée : 2h37mn
- VOD : Filmo TV, Capuseen
- Festival : Festival de Venise 1988, Festival cinémas d’Afrique de Lausanne 2024
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– Année de production : 1988
Résumé : Un épisode sanglant peu glorieux de l’Histoire. Au Sénégal en 1944, un bataillon de tirailleurs arrive au camp de transit de Thiaroye. Ces hommes ont été enrôlés de force, certains depuis 1940, dans l’armée coloniale française, pour se battre en France contre les Allemands. Ils attendent, parqués dans le camp, leur démobilisation et leur pécule. La fierté fait bientôt place à la désillusion et devant les promesses non tenues et le racisme de la hiérarchie militaire, les tirailleurs sénégalais se mutinent. On dénombrera vingt-cinq morts et de nombreux blessés, d’autres seront emprisonnés.
- © FCA Lausanne
Critique : Certains films ont une responsabilité. Le poids de l’Histoire se fait lourd sur leurs épaules, mais il se peut que leur poids dans l’Histoire le soit au centuple. Le rôle des tirailleurs sénégalais dans l’Histoire de la Libération se fait un peu plus clair aujourd’hui, un long travail de réhabilitation ayant été accompli, en partie par le cinéma. Mais, comme si la pudeur l’emportait au moment de leur rendre hommage, en France, c’est souvent à bas bruit, petit pas après petit pas, que leur sacrifice est conté, que leur douleur et celle de leurs descendants est exprimée.
L’exemple de ce que nous appelons désormais le massacre de Thiaroye frappe par sa dureté. L’État français et son armée peinent à laisser l’Histoire respirer : elle est étouffée pendant soixante-dix ans, et quand elle refait surface, c’est avec beaucoup de prudence que les mots sont posés sur les faits. La restauration du film de Sow et Sembène le crie désormais tout haut : après le versement du sang des tirailleurs sénégalais pendant la guerre au nom de la Mère Patrie, il a continué de couler à leur retour en Afrique, de la main même de l’Armée qu’ils ont défendue.
Il serait toutefois incorrect d’imaginer un film difficile d’accès, trop respectueux de son sujet pour passionner, ou simple objet de commémoration. Sembène, comme il l’affirmait lui-même, lui qui était aussi écrivain, souhaitait le plus souvent adapter ses histoires au cinéma, pour ne pas priver ceux qui n’auraient pas accès aux livres, ou à la maîtrise de la lecture, de ses récits. Lui, ancien tirailleur, va au-delà de l’impératif hommage. Il livre, avec son coréalisateur Faty Sow, un récit d’une grande humanité qui brille par la qualité de ses personnages, et d’une construction passionnante bien que ce soit pour le pire : comment peut-on en arriver à ce massacre, quelques jours seulement après le débarquement triomphal de ces troupes françaises ?
- Copyright MINISTRY OF CULTURAL AFFAIRS, TUNISIA
Le film prend le temps de détailler les mécanismes qui y convergent avec finesse, en faisant preuve d’une superbe aptitude à montrer sans dire, une des règles d’or du septième art. Quelques plans justement composés, quelques scènes joliment découpées, remplacent tous les mots. Peu à peu, la désillusion envahit les cœurs et chasse le soulagement du retour. L’arrivée dans le camp de transit de Thiaroye et ses barbelés qui cadenassent les protagonistes. L’absence de tenues, qui pousse les soldats à porter des uniformes américains. La nourriture insipide, en quantité dérisoire, assumée par la hiérarchie. Les dortoirs rudimentaires, dont la découverte arrache un rictus au capitaine Raymond, seul Blanc qui nuance ses positions envers les Noirs, et affirme que l’armée française se devrait d’avoir plus d’égard envers ses soldats. Et malgré cela, les tirailleurs forcés de hisser le drapeau tricolore, après les humiliations, sous l’harmonica déchirant d’Ismaël Lô.
Le massacre de Thiaroye est aussi une histoire du racisme subi par ces tirailleurs, dont le film montre d’ailleurs la diversité pour un rappel salutaire. Si l’appellation « tirailleur sénégalais » est courante, les soldats viennent en fait de toutes les colonies françaises de l’époque. Les soldats, mais aussi les acteurs du film sont burkinabés, ivoiriens, nigériens… La hiérarchie, bien sûr, à l’exception du capitaine Raymond, ne voit que des nègres. Pourtant, de ces soldats, dans toute leur diversité, le film montre la finesse, avec par exemple délicieux sergent-chef Diatta, la solidarité et l’endurance. Sembène et Faty Sow utilisent notamment la langue pour renverser l’ordre des pouvoirs : les soldats qui se réunissent et parlent enfin la leur, ou bien Diatta qui se joue des officiers français qui ne comprennent pas un mot de l’anglais que lui maîtrise à la lettre. Dans cette scène, Sembène et Faty Sow orchestrent l’annonce de la fin des colonies françaises en Afrique, pleins d’ironie.
Alors qu’un terreau propice à la révolte s’est développé, voilà que les tirailleurs apprennent qu’une fois de retour à leur village, ils ne percevront que la moitié de leur solde. La fronde devient inévitable, et l’armée française organise une répression sanglante. Les dernières scènes du film, dures, laissent tout de même une belle saveur d’hommage à ces hommes qui n’avaient rien demandé : leurs sourires, solaires, face caméra, encapsulent un film qui fait figure de pilier du cinéma sénégalais, et du continent africain.
Le génie du cinéma de Sembène et Faty Sow fait son œuvre juste avant le massacre, quand ils détaillent l’incrédulité des tirailleurs. Dans une scène d’une rare violence morale, ils parviennent à faire ressentir au spectateur, via les gesticulations du plus muet des tirailleurs, la situation se passant de mots, un peu de ce qu’ils ont vécu. C’est-à-dire la certitude que l’ennemi allemand était de retour pour les massacrer. D’autre possibilité, il n’y avait pas, puisque leurs ennemis avaient toujours porté l’uniforme nazi.
– Film traité dans le cadre du Festival des cinémas d’Afrique de Lausanne 2024
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