Ne coupez pas !
Le 6 juillet 2024
Le regard du sage sur les déviances de l’Afrique. Eblouissant et indispensable.
- Réalisateur : Ousmane Sembène
- Acteur : Fatoumata Coulibaly
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Sénégalais, Tunisien, Burkinabé, Camerounais, Marocain
- Distributeur : Les Films du Paradoxe
- Durée : 1h57mn
- Date de sortie : 9 mars 2005
- Festival : Festival de Cannes 2004
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Résumé : Dans un village du Burkina, Collé s’est opposée, il y a sept ans, à ce que sa fille soit excisée. Quatre fillettes s’échappent du groupe promis à la "purification", et lui demandent protection.
Critique : Depuis quarante ans, Sembène Ousmane pose un regard acéré sur la société africaine, faisant face aux tabous et aux non-dits. Ses films, comme ses livres, sont autant de fables, de manifestes, donnant à voir et à penser. Moolaadé s’enracine dans ce cinéma militant, itinérant, qui vient dire que le monde avance et que l’Afrique ne doit pas rester derrière.
Si les mutilations sexuelles ont longtemps été perpétuées (et perpétrées) par les femmes, le réalisateur décrypte patiemment et avec une grande rigueur tous les enjeux qui se bousculent au cœur de ces pratiques. Enjeux de pouvoir, d’abord, d’ascendant des hommes sur les femmes dont la sexualité peut être ainsi contrôlée, sans parler du pouvoir social des exciseuses, enjeux d’argent aussi, celui versé aux exécutrices, comme celui drainé par les fastes de la cérémonie.
Mais le regard de Sembène Ousmane ne s’arrête pas là. Il s’insinue jusque dans les bassesses des hommes gardiens farouches d’une tradition qui leur assure le pouvoir des imbéciles, un pouvoir qui s’affirme dans l’asservissement et la violence. Il traque les déviances encouragées par un droit coutumier hors du temps, qui permet des unions aux relents pédophiles. Il s’attarde sur la souffrance quotidienne des femmes déchirées par les assauts "virils" du mâle dominant, mutilées par des accouchements barbares qui ne laissent aucune chance à l’enfant, et si peu à la mère. Il montre cette révolte tranquille mais déterminée qui naît de la lassitude de la souffrance, et de l’accès à la connaissance. Ce n’est pas vrai, assène Collé, que le Coran impose aux femmes d’être excisées. Ils l’ont dit à la radio. C’est la voix du monde contre l’obscurantisme, c’est le savoir contre les brutes. On immole les radios entre la mosquée et la termitière sacrée, Dieu et les esprits veillent sur l’ordre retrouvé.
Les auteurs africains ont beaucoup utilisé le thème du retour au pays, pour symboliser le choc culturel qui naît de l’ouverture au monde. On pense à L’aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane, ou encore, au cinéma, Le silence de la forêt de Didier Ouénagaré. La morale reste la même partout. Face au poids de la coutume, les hommes plient ou se rompent. Le fils a beau revenir de France, il se laisse happer par la loi des aînés qui n’a pas pour lui que des inconvénients, et sa révolte est bien tardive et bien tiède. Le changement ne peut passer que par les femmes.
La démarche de Sembène Ousmane force le respect. L’œuvre de cet homme de conviction est faite d’humanisme et de tolérance, pointant obstinément le non-droit dans une quête absolue de justice et d’éducation. À plus de quatre-vingt ans, il n’est pas près de renoncer, et son prochain film est déjà en chantier. Pour redonner tout son sens à la sagesse.
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