Le 7 février 2025
Ni trop mélo, ni trop légère, cette douce approche romanesque et sentimentale d’un Marocain dans son projet d’installation en France éclaire sur les difficultés des parcours migratoires, à l’heure où les populismes en tout genre brouillent les lignes sur le sujet.


- Réalisateur : Saïd Hamich
- Acteurs : Grégoire Colin, Anna Mouglalis, Sarah Henochsberg , Ayoub Gretaa
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Français, Belge, Marocain
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 1h57mn
- Date de sortie : 5 février 2025
- Festival : Festival de Cannes 2024

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Résumé : Nour, vingt-sept ans, a émigré clandestinement à Marseille. Avec ses amis, il vit de petits trafics et mène une vie marginale et festive… Mais sa rencontre avec Serge, un policier charismatique et imprévisible, et sa femme Noémie, va bouleverser son existence. De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit et se raccroche à ses rêves.
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Critique : Nour a vingt-sept ans. Il vit avec ses copains de galère dans un squat, tous issus du Maroc, en vendant des montres dérobées dans un camion. Mais la police s’en mêle et contre toute attente, c’est l’occasion pour le jeune homme de rencontrer Serge, un flic qui, avec son épouse, va bouleverser toute son existence en France. La mer au loin est un récit qui s’écoule sur dix ans, à une époque où la question de la migration semblait moins politique qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les musiques maghrébines s’invitent dans ce roman social et sentimental, marquant Marseille où l’interculturalité n’est pas un vain mot. Les migrants viennent à Marseille parce qu’il y a la mer certes, mais aussi parce que le vivre-ensemble est possible dans cette cité réputée pour son melting-pot culturel et son ouverture sur le monde.
- Copyright Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production
Parler de la migration prête à caution aujourd’hui tant le débat politique est vif et glaçant. Saïd Hamich, plus connu pour ses productions que ses réalisations, s’engage sur le sujet en faisant le choix d’humaniser le parcours d’un migrant à travers son protagoniste et les amis qui tournent autour de lui. Le film évite brillamment les poncifs sociologiques et généralistes pour un récit très sensible où le héros est confronté aux tensions entre son aspiration à vivre en France et celle de rester en lien avec sa famille. On assiste alors aux choix cornéliens qu’il doit opérer afin de régulariser sa situation administrative et se faire une place emplie de dignité dans la société qui l’accueille, sans renoncer à son identité culturelle de naissance. On accompagne un personnage à la fois fragile et fort, qui vacille dans son écartèlement permanent entre les deux bouts de mer qui le construisent.
Le réalisateur offre une panoplie de personnages absolument attachants qui donnent à voir toute la multiplicité sociale et culturelle de Marseille. Le policier, incarné par le trop rare Grégoire Colin au cinéma, demeure l’un des protagonistes les plus intéressants du film, figure bisexuelle en miroir de celle de Nour, dans la mesure où il se retrouve écartelé par des désirs contraires et irrésistibles, là où son protégé erre dans la confusion de ses racines et de ses aspirations à s’installer durablement en France. Il est marié à une femme ouverte, à la voix rocailleuse, interprétée par une Anna Mouglalis tout en nuance. Le film aborde une multitude de sujets, au-delà de la question migratoire, comme l’amour libre dans un couple, les familles recomposées et la discrimination raciale.
- Copyright Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production
La mer au loin souffre de quelques longueurs et confusions scénaristiques qui peuvent rendre la vision du film parfois un peu pesante. Le réalisateur exagère son regard empathique à l’égard de ses différents personnages, tout en échappant avec brio au mélodrame. Néanmoins, on ne rit pas beaucoup dans cette histoire où force est de considérer que les parcours de migration sont décrits comme moins enthousiasmants que générateurs de mélancolie et de souffrance. Il est sain de nous rappeler que quitter un pays ne va pas de soi, et que le projet d’acculturation est loin d’être aisé. Pour autant, le réalisateur montre à la fin de son film qu’on peut trouver sa place dans un pays d’accueil sans devoir gommer ses attaches familiales et culturelles.
Les films à Marseille comme le récent La pie voleuse sont toujours très agréables à regarder dès lors qu’ils ne réduisent pas la cité phocéenne à un paysage urbain, dévasté par la drogue et la délinquance. Saïd Hamich s’attache à décrire des personnages qui dévorent la vie dans sa complexité et sa générosité. Cela donne à voir un long-métrage prometteur, qui n’évite pas toujours les maladresses, mais dont on perçoit la beauté d’un regard épris d’humanisme et de dignité.