Le 7 mai 2024
En témoignant du passé d’un grand homme de presse, Augusto Góngora, et d’un présent obscurci par la maladie d’Alzheimer, Maite Alberdi réalise un documentaire d’une grande puissance historique et émotionnelle. La Mémoire Eternelle s’impose comme un documentaire les plus importants sur les maladies neurodégénératives sous couvert de la mémoire du peuple chilien ces cinquante dernières années.
- Réalisateur : Maite Alberdi
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Chilien
- Distributeur : Bodega Films
- Durée : 1h25mn
- Titre original : The Eternal Memory
- Date de sortie : 8 mai 2024
- Festival : Festival de Berlin 2023, Festival de Sundance 2023
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Résumé : Augusto Góngora, journaliste chilien et grand chroniqueur des crimes du régime Pinochet, et Paulina Urrutia, actrice, activiste et politicienne, forment un couple amoureux et soudé depuis plus de vingt ans. Il y a huit ans, on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer. C’est l’histoire du dévouement chaleureux et intransigeant de Paulina et de la lutte acharnée d’Augusto pour conserver son identité et surtout un témoignage profondément émouvant de leur amour.
Critique : C’est un grand homme, un journaliste, qui a contribué à sa façon à faire triompher la démocratie au Chili, aux côtés de son épouse depuis plus de vingt ans, qui, elle-même a été ministre de la Culture. Sauf que cet homme, Augusto Góngora, aujourd’hui, reconnaît à peine son épouse, et s’abandonne peu à peu aux tourments de la dépendance. S’il peut encore fréquenter les scènes de théâtre où sa femme fait vivre une troupe dynamique, les mouvements de son corps commencent à se figer dans une dimension nouvelle, entre la perte de mémoire et la dégénérescence liée à l’âge. Augusto Góngora n’a pas été qu’un brillant chroniqueur, mais aussi remarquable homme de lettres, cinéma et théâtre, aujourd’hui sur la ligne de crête d’une maladie invisible qui conduit inéluctablement à la démence.
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La maladie d’Alzheimer n’épargne personne et La mémoire éternelle en témoigne avec une force absolument déstabilisante. Comme souvent, dans ce genre de trouble, la normalité alterne avec des comportements dénotant la perte d’autonomie physique et intellectuelle. La caméra de Maite Alberdi, grande documentariste de l’intime, s’invite avec beaucoup de pudeur aux côtés de ce couple, à la fois hors du commun et d’une normalité affligeante. Ce sont deux êtres qui ont compté dans l’histoire artistique et intellectuelle du Chili, qui ne font plus que s’aimer dans une maison magnifique qu’ils ont fait rénover. Parfois, des décors figés sortis d’une pièce de théâtre racontent, mieux que tout, la conscience qui s’égare dans des torpeurs cognitives. Tous deux ne cessent de se parler, se remémorer l’histoire de leur vie, comme pour conjurer un avenir qui leur échappe. Le combat qu’Augusto Góngora a mené pour révéler au monde les barbaries de Pinochet semble presque plus aisé que celui qu’il conduit avec sa femme, Paulina Urrutia, contre les ravages de la maladie d’Alzheimer.
La mémoire éternelle n’est pas un mélodrame impudique sur la maladie d’Alzheimer. C’est d’abord une œuvre qui réhabilite à la mémoire du monde, la lutte journalistique d’un homme, passionné de démocratie et d’un courage exemplaire. Vingt-cinq ans après la chute de Pinochet, parler de résistance journalistique semble presque désuet. Pourtant, les images de télévision sont là pour témoigner de la violence d’un régime barbare où il a pris tous les risques pour faire advenir la vérité. Il lui reste encore des larmes pour pleurer la cruauté d’un régime qui égorgeait les jeunes activistes en public, témoignant par là même d’un journalisme d’hier qui ne cherchait pas le buzz pour faire vendre, mais seulement à rendre publiques les atrocités commises par le gouvernement chilien. Maintenant, en plus des larmes, il demeure le temps suspendu d’une femme et d’un homme qui s’aiment pour le restant de leurs jours.
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Maite Alberdi est une documentariste multi-récompensée sur les plus grandes scènes du monde. Elle crée un cinéma de l’existence des personnes rongées par la maladie ou le handicap. Mieux que personne, elle sait saisir l’intimité merveilleuse du couple où la mémoire qui se perd devient une opportunité à faire un spectacle de la vie qui reste. Quand Augusto Góngora confesse qu’il ne sait plus s’il a des enfants, les larmes de Paulina dévalent sur ses joues avec une très grande dignité. Deux réalités s’opposent alors : celle d’un homme immense qui a pris tous les risques pour dénoncer les abjections de Pinochet, et celle d’un autre homme qui s’égare peu à peu dans une mémoire vacillante ne lui permettant même plus de se reconnaître sur une photographie. On sait d’ailleurs que les soignants en EHPAD enlèvent les miroirs des chambres pour éviter aux malades atteints d’Alzheimer de se parler à eux-mêmes comme s’ils voyaient un autre à travers le reflet.
La mémoire éternelle n’est pas du tout un film voyeuriste. Si la réalisatrice rassemble des images intimes en famille et d’autres publiques qui rendent compte de l’engagement journalistique de l’homme, il n’en demeure pas moins que le film a vocation de rendre visible au plus grand nombre le drame de la maladie d’Alzheimer où cohabitent la raison, la tendresse, puis soudain des comportements déraisonnés pour ne pas dire fous. Dans ces moments extrêmes, la réalisatrice a le réflexe de brouiller l’image pour éviter l’impudeur et la grossièreté. Elle produit alors une œuvre emprunte d’une dignité inouïe, comme un reflet universel à tous ces anonymes à travers le monde qui dérivent peu à peu dans l’obscurité de la démence sénile.
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