Quand la féminité croise le mysticisme
Le 2 septembre 2023
Un moyen-métrage féminin réussi sur une femme libérée dans un petit village sarde au début du XXe siècle, avec une mise en scène paradoxalement géométrique, rigoureuse, sur le désir, l’effusion des sentiments.
- Réalisateurs : Manon Décor - Michele Salimbeni
- Acteurs : Jessica Mazzoli, Pierre-Yves Massip, Carolina Vinci
- Genre : Drame, Noir et blanc, Moyen métrage
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Saint-André des Arts
- Durée : 1h01mn
- Titre original : La lupa
- Date de sortie : 30 août 2023
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Un village sarde, au début du XXe siècle. "La Louve" raconte l’histoire d’une femme nommée ainsi à cause des relations qu’elle entretient avec les hommes du village. Sa liberté ne trouve pas sa place dans les bonnes manières de cette petite société, et la conduira à sa destinée.
Critique : Le premier plan qui introduit le générique fait penser aux images psychédéliques de Meshes of the Afternoon (Maya Deren). C’est un bouquet de fleurs - rien de plus simple en apparence - plongé dans un vase : une nature morte, à la charge symbolique forte, qui porte en elle le dénouement poétique du film.
- Jessica Mazzoli
- 2023 L’Oeil Nu Production. Tous droits réservés.
Début du XXe siècle. Dans un village sarde en pleine campagne, déambule une jeune femme à la robe noire, dont la silhouette contraste avec le blanc des murs en pierre, et se fond avec les ombres prononcées qui découpent le paysage. Le ton se veut naturaliste, aride – comme le soleil saisit en contre-plongée - pour, paradoxalement, dessiner le portrait tout en sensualité, et en émotion, de cette sorcière des temps modernes, celle que les habitants du village surnomment la louve, au vu de son libertinage, de sa débauche sexuelle qui choque et dérange. L’histoire témoigne de son parcours (la caméra capte des moments de vie), de son apparente opposition aux mœurs et coutumes qui l’entourent, auxquelles elle n’obéit pas, ne se soumet jamais.
Les plans fonctionnent comme des tableaux, des séquences closes sur elles-mêmes, qui se juxtaposent les unes aux autres. Nous plongeons dans la description d’un hameau désert, où les quelques riverains qui osent affronter la chaleur (deux fileuses de laine assises sur le bord de la route, et un enfant jouant au ballon), se pressent de rentrer chez eux, à la vue de la jeune femme. Apparaît déjà quelque chose de l’ordre du mysticisme (les fileuses se signent), des croyances païennes : la protagoniste est sujette aux rumeurs, à une aura qu’elle semble ne pas maîtriser.
- Pierre-Yves Massip
- 2023 L’Oeil Nu Production. Tous droits réservés.
Le chant des cigales happe l’arrière-plan sonore, très travaillé, qui s’empare de chaque détail, alors qu’aucun son ne sort de la bouche de la protagoniste. Elle est muette ; ou plutôt la parole ne semble pas faire partie de son monde, qui se veut connecté à la nature. Elle est dans la fusion (elle va se baigner nue dans la mer, et son corps ne fait plus qu’un avec l’eau), dans le peau à peau (la relation qu’elle entretient avec sa petite fille fonctionne sur les caresses) : les mots ne servent donc à rien, dans cette union qui caractérise son être au monde. Elle est constamment dans l’accouplement - sexualisé ou non : elle se fond en l’autre, en la nature, en l’homme, par le fait qu’elle se donne, de manière sauvage, organique. Elle agit à l’instinct, suit ses désirs, écoute son anatomie, au risque de tomber dans la bestialité : lorsqu’elle sort de l’eau, elle arpente les rochers, avance à quatre pattes, comme une bête sauvage prête à foncer sur sa proie. Elle vit dans et par le corps.
A contrario, les habitants du village dansent ensemble, au sein d’une ronde joyeuse (la séquence de baignade précédemment évoquée, et celle de cette petite fête sont liées par un montage parallèle). Pour la première fois, quelque chose d’autre que du bruitage émerge de la bande sonore : on perçoit des onomatopées, qui traduisent l’effervescence et le bonheur de se retrouver là, à célébrer un mariage, l’amour d’un homme et d’une femme enfin réunis. Il y a une opposition entre nature et culture ; entre d’un côté, l’inné qui est représenté à l’image par la dominante de la chair, et l’acquis, traduit par les traditions.
De cette opposition, surgit une forte charge religieuse : la louve et sa fille sont captées en pleine nature, allongées dans l’herbe, un panier de fruits à leurs pieds. La mère saisit quelques raisins et des cerises dans la paume de sa main, qu’elle tend ensuite à son enfant. La fillette les croque, comme Ève se serait délectée du fruit défendu : avec innocence. Les références au premier pêché sont encore présentes lorsque l’on assiste à la rencontre entre la jeune femme et son amant : tous deux font l’amour au pied d’un arbre. L’image traduit l’acte sexuel par métaphore : la petite fille apparaît derrière le tronc, le touche, la main à plat contre l’écorce ; et de la sève se met à couler, symbole de l’éjaculation. Plus tard, la mère donne le bain à son enfant, la lave en étant légèrement en hauteur, dans une position rappelant celle de la Vierge à l’enfant ; composition reprise lorsqu’elle lui chante une berceuse, lorsque la parole surgit enfin d’entre ses lèvres.
La scène finale rappelle, de manière poétique et lyrique, que le fondement des légendes et des mythes commence là où une histoire s’achève : dans la mort, brutale, comme on abat un animal. C’est au spectateur, qui a tout vu, ou à celui qui tient le fusil, d’en être le narrateur, pour ne pas que l’histoire s’étiole et disparaisse.
La Louve est un film à la mise en scène paradoxalement géométrique, rigoureuse, sur le désir, sur l’effusion des sentiments qui flirte avec l’envoutement, et la sorcellerie (dans le sens où la protagoniste est une femme libre, et en cela étrange/re aux yeux des autres)...
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.