Le 15 janvier 2020
- Titre original : La Fiesta del Chivo
- Date de sortie : 9 avril 2002
- Titre original : La Fiesta del Chivo
La dernière journée de Trujillo ou les délires d’un dictateur. Un des livres les plus aboutis de Mario Vargas Llosa.
La République dominicaine n’a pas toujours été la destination de rêve que l’on connaît aujourd’hui. Ce fut aussi la dictature sanguinaire et tenace (1930-1961) d’un ancien colonel de la police, Rafael Leonidas Trujillo. La fête au bouc, du Péruvien Mario Vargas Llosa, retrace la dernière journée du despote.
Résumé : Que vient chercher à Saint-Domingue cette jeune avocate newyorkaise après tant d’années d’absence ? Les questions qu’Urania Cabral doit poser à son père mourant nous projettent dans de labyrinthe de la dictature de Rafael Leonidas Trujillo, au moment charnière de l’attentat qui lui coûta la vie en 1961. Dans des pages inoubliables – et qui comptent parmi les plus justes que l’auteur nous ait offertes —, le roman met en scène le destin d’un peuple soumis à la terreur et l’héroïsme de quatre jeunes conjurés qui tentent l’impossible : le tyrannicide. Leur geste, longuement mûri, prend peu à peu tout son sens à mesure que nous découvrons les coulisses du pouvoir : la vie quotidienne d’un homme hanté par un rêve obscur et dont l’ambition la plus profonde est de faire de son pays le miroir fidèle de sa folie. Jamais, depuis Conversation à « La Cathédrale », Mario Vargas Llosa n’avait poussé si loin la radiographie d’une société de Corruption et de turpitude. Son portrait de la dictature de Trujillo, gravé comme une eau-forte, apparaît, au-delà des contingences dominicaines, comme celui de toutes les tyrannies — ou, comme il aime à le dire, de toutes les « satrapies ». Exemplaire à plus d’un titre, passionnant de surcroît, La fête au Bouc est sans conteste l’une des œuvres maîtresses du grand romancier péruvien.
Notre avis : Point n’est besoin de connaître l’histoire dominicaine pour plonger dans le dernier roman de Vargas Llosa : tout y est expliqué sur cette longue dictature qui a maintenu le pays, pendant trente et un ans, sous la férule du "Bienfaiteur" Trujillo, avec la bénédiction des Etats-Unis (l’après-deuxième Guerre mondiale accueille avec bienveillance les potentiels bastions anti-communistes, d’autant que Cuba n’est pas loin de Saint-Domingue...) et de l’Eglise, même si leur confiance s’est érodée durant les derniers temps du régime.
Un régime où tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains tachées de sang (ainsi aime le répéter Trujillo, qui accepte de se salir les mains pour la gloire de son pays) d’un seul homme, où règne la terreur entretenue par les militaires et la milice des calies, où la suspicion fait force de condamnation à la prison, à la torture, à l’assassinat maquillé en accident ou en suicide, où la délation est officiellement organisée, où les journaux, les radios et les entreprises sont possédées et dirigées par la famille du dictateur, où le droit de cuissage peut s’abattre sur toute citoyenne dominicaine, surtout les jeunes filles livrées en pâture à l’appétit du Bouc dans sa Maison d’Acajou, parce que "ça excite les hommes de déchirer le petit con d’une vierge".
S’attardant peu sur la description de cette île caribéenne, Vargas Llosa construit minutieusement l’intrigue de son roman en adoptant un triple point de vue : d’abord, celui d’Urania Cabral, avocate new-yorkaise d’origine dominicaine, qui revient 35 ans après l’assassinat de Trujillo, afin de rendre visite à son père qu’elle n’a pas vu depuis 1961. Un père, Agustin Cabral, maintenant un vieillard paralysé et muet, qui fut sénateur et président du Sénat, fidèle et servile courtisan du dictateur, que celui-ci a décidé de mettre à l’épreuve en le révoquant de toutes ses fonctions, afin de mesurer le dévouement et l’intégrité du sénateur.
La focalisation interne concerne ensuite Trujillo lui-même à travers ses tactiques préférées : diviser ses plus incontestables partisans, mettre en danger les plus hauts dignitaires du régime, pour leur rappeler que la moindre parcelle de pouvoir qu’ils détiennent leur a été octroyée par la générosité du Bienfaiteur, tyran mégalomane et paranoïaque, obsédé par la grandeur de la République dominicaine, qui ne reflète que sa propre grandeur, puisqu’il croit avoir été choisi par Dieu pour assumer le destin de l’île et la faire entrer dans l’Histoire. Dès lors, tous les coups sont permis, ainsi que le montre Vargas Llosa en décrivant les faits, gestes et pensées de la dernière journée d’un despote vieux et malade.
Enfin, troisième angle de vue du roman, celui des quatre révoltés qui attendent la voiture de Trujillo, pour la poursuivre et délivrer la République dominicaine de trente et un ans d’enfer. Vargas Llosa explicite les motivations de chacun de ces hommes, ce qui permet de mettre à jour la façon dont le pouvoir de Trujillo s’immisce dans chaque famille et les maintient dans un climat de précarité absolue, d’extrême insécurité.
Le célèbre auteur nous livre là un roman historique précisément documenté, mais qui se révèle aussi une étude psychologique fine et époustouflante des délires d’un dictateur comme en ont connu tant d’autres pays d’Amérique latine. Assurément, on tient là l’une de œuvres les plus abouties de l’écrivain depuis son premier roman, La ville et les chiens (1962), qui l’avait propulsé sur la scène littéraire internationale.
Mario Vargas Llosa, La fête au Bouc (La fiesta del Chivo, traduit par Albert Bensoussan), Gallimard, coll. "Du Monde Entier", 2002, 603 pages, 23,50 €
Galerie photos
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