Le 20 février 2023
- Dessinateur : Victoria Lomasko
- Genre : Reportage
- Editeur : THE HOOCHIE COOCHIE
- Famille : Roman graphique
Artiste russe dissidente, Victoria Lomasko livre une série de reportages graphiques dans les périphéries de l’ancien empire soviétique, avant d’interroger les mutations de la dictature de Poutine et le rôle de l’artiste.
Résumé : De 2014 à 2020, Victoria Lomasko s’est rendue dans différents pays de l’ex-URSS, du Kirghizstan à l’Ingouchie en passant par Ervan (Arménie) et Minsk, capitale d’une Biélorussie qui se soulève courageusement contre la dictature de Loukachenko. De retour de ce voyage mené en 2020, l’artiste russe s’interroge : ce mouvement né dans les « marge » de l’ancien empire soviétique pourrait-il ébranler la société russe et provoquer un mouvement révolutionnaire au moment où l’opposant Alexeï Navalny a donné une vigueur nouvelle à l’opposition à Vladimir Poutine ? La violence de la répression menée par les forces de l’ordre russe pousse Victoria Lomasko à s’interroger sur la pertinence de sa propre participation à ces manifestation et sur son propre rôle social d’artiste. Comment combattre la dictature de Poutine ? Ne serait-elle pas « plus utile dans un atelier que dans une bagarre » ?
Critique : La dernière artiste soviétique se décompose en deux parties distinctes qui traduisent le cheminement intellectuel et artistique de Victoria Lomasko. La première partie est formée des reportages que l’artiste mène dans les pays de l’ancienne Union Soviétique au gré des résidences d’artiste et des projets qu’elle mène. Ces reportages s’inscrivent dans la continuité de D’autres Russies qui prenait le pouls d’une certaine société russe qui, loin d’adhérer au discours du régime, s’avère en retrait ou en rupture par rapport à la dictature poutinienne. Dans cette série de reportage, Lomasko interroge la permanence de la Russie et du communisme dans ces pays ainsi que la place des femmes dans ces sociétés restées plus ou moins traditionnelles. À cet égard, les propos concernant l’excision menée au Kirghizstan au nom de la « tradition » font froid dans le dos. Le reportage mené à Tbilissi, dans une Géorgie marquée par l’intervention russe en Ossétie du Sud, résonne de façon particulière à l’heure de la guerre en Ukraine. Dans une seconde partie, Victoria Lomasko mène un travail d’introspection, au point de remettre en question sa pratique d’« artiste du social ». La pandémie et la répression de la contestation à Moscou agissent ainsi comme un moment de vérité pour l’artiste, qui fait dans son récit vœu de transparence en partageant ses doutes. Pour sortir de l’impasse, Victoria Lomasko dresse le portrait d’amis artistes, avant de se peindre elle-même, « dernière artiste soviétique ».
- Victoria Lomasko / The Hoochie Coochie
Après avoir agi en militante active, Victoria Lomasko semble vouloir prendre de la distance vis-à-vis de la politique, au point qu’elle admet que la mise en forme de ses reportages graphiques s’est effectué dans la douleur, tant elle a eu l’impression que ceux-ci ont été réalisé par une autre personne. Malheureusement, la politique s’est rappelée à l’artiste, puisque Victoria Lomasko a été contrainte de fuir la Russie au moment de l’invasion de l’Ukraine : le régime de Vladimir Poutine s’est radicalisé au point de ne plus laisser aucun espace pour des artistes susceptible de contester ses décisions. Victoria Lomasko vit désormais en Europe, où elle a été accueillie dans différentes résidences d’artistes.
La dernière artiste soviétique constitue un témoignage précieux d’une artiste russe à l’heure de la guerre en Ukraine, d’autant que l’ouvrage actionne deux leviers. D’une part, elle laisse la parole à des sociétés membres de « l’étranger proche » de la Russie, pour reprendre l’expression géopolitique de Poutine. D’autre part, Lomasko livre ses propres impressions sur la contestation et la société russe ainsi que sur la place de l’art dans une dictature. Pour cet ouvrage, l’artiste a reçu au festival d’Angoulême le mal-nommé Prix « Couilles au cul du courage artistique » délivré depuis 2016 par le « Off du Off » de la manifestation, en réaction aux attentats qui ont décimé la rédaction de Charle Hebdo.
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- Victoria Lomasko / The Hoochie Coochie
Les textes des deux parties de l’ouvrage sont renforcés par des dessins au feutre pris « sur le vif » qui figurent tantôt les personnes rencontrées, tantôt les lieux arpentés par l’artiste. Ces portraits et ces décors – au style parfois naïf – sont pénétrés d’un sentiment d’urgence, comme s’il fallait ancrer sur une feuille de papier un monde crépusculaire. Cet ensemble de dessin facilite l’immersion du lecteur occidental dans un monde qu’il connaît généralement assez mal.
- Victoria Lomasko / The Hoochie Coochie
Lecture d’une acuité particulière, La dernière artiste soviétique interroge les sociétés nées des débris du communisme soviétique qui oscillent entre le rejet et la réappropriation de cet héritage pesant face à un Occident qui incarne tantôt la modernité, tantôt un contre-modèle. Elle-même héritière de ce monde disparu, Victoria Lomasko questionne elle-même son « art social » et sa pertinence. Une œuvre éclairante et pleine de souffle.
Pour en savoir plus sur cette artiste, écoutez l’épisode du podcast Dans ma bulle réalisé avec Gautier Ducatez, l’éditeur en France de Victoria Lomasko.
304 pages – 26 €
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Galerie photos
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