Le 4 novembre 2020
- Réalisateur : Masaki Kobayashi
- Acteurs : Michiyo Aratama, Keiji Sada, Tatsuya Nakadai, Yûsuke Kawazu, Taketoshi Naitō
- Titre original : 人間の條件 [Ningen no jōken]
- Distributeur : Carlotta Films
- Genre : Drame, Film de guerre, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Date de sortie : 1er janvier 1959
- Durée : 9h43mn
- Titre original : 人間の條件 [Ningen no jōken]
Bien plus qu’un classique oublié du cinéma japonais d’après-guerre, le triptyque de La condition de l’homme est une fresque cinématographique aussi monumentale que l’annonce son titre aux accents malrusiens.
Résumé : 1943. Kaji, un administrateur civil employé dans une compagnie de minerai, part avec sa femme pour des mines de charbon en Mandchourie du Sud. Au cœur de paysages désolés, Kaji lutte dans le seul but d’améliorer les conditions de travail des ouvriers. Lorsque des prisonniers chinois affamés lui sont confiés par la police militaire, Kaji commence à s’opposer, malgré les impératifs de la guerre, aux méthodes extrêmes de sa hiérarchie. Pour lui commence alors une aventure humaine dramatique et cruelle...
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
Critique : Malgré des chefs-d’œuvre comme Harakiri (1964), Kwaidan (1965) ou Rebellion (1967), Masaki Kobayashi reste, parmi les réalisateurs humanistes japonais, le moins connu par les cinéphiles. C’est pourtant avant ces trois films que le metteur en scène signa, entre 1959 et 1961, sa grande œuvre, un film récompensé d’un Lion d’argent à Venise, mais qui mit vingt-cinq ans à arriver sur les écrans français : La condition de l’homme est une trilogie dans laquelle il suit, durant près de dix heures, un jeune ingénieur japonais pacifiste, qui aurait souhaité simplement vivre auprès de la femme qu’il aimait, mais a le malheur d’avoir vingt ans durant la Seconde guerre mondiale, au moment où l’Empire du Soleil Levant souhaite partir à la conquête de l’Asie, et qui, pour échapper au service militaire, accepte d’aller en Mandchourie, alors colonie japonaise.
Œuvre inspirée d’un roman-fleuve de Jumpei Gomikawa - qui porte le même titre que le film - mais aussi par l’expérience personnelle que fit le réalisateur de la guerre (sur les six années où il fut sous les drapeaux, il en passa deux sur en Mandchourie et une dans un camp de prisonnier), La condition de l’homme est un film de guerre dont la seule bataille dure trente minutes alors qu’il était, au moment de sa sortie, le plus long jamais réalisé : la lutte qu’il raconte est de fait celle, morale et physique, d’un objecteur de conscience, interprété comme souvent chez Kobayashi par Tatsuya Nakadai, qui s’érige contre l’esprit militariste, mais sera emporté par le tourbillon de l’histoire.
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
Dans le premier volet, Il n’y a pas de plus grand amour, le personnage se retrouve confronté, dans l’usine sidérurgique de Mandchourie dont il doit diriger le personnel, à la misère effroyable dans laquelle vivent les ouvriers, coolies puis prisonniers chinois plus morts que vivants, contraints aux travaux forcés. Il tente alors de convaincre les militaires japonais, au risque de la contradiction (puisqu’il contribue à un effort de guerre qu’il désapprouve), que le meilleur moyen d’augmenter le rendement de la production est de traiter les ouvriers avec humanité. Mais une série d’évasions le fait entrer en conflit aussi bien avec les bourreaux, qui déclenchent une répression féroce, qu’avec les victimes, qui le soupçonnent de double jeu. Sa foi en l’homme et en la justice le conduira, de déboires en désillusions, à être torturé par la Kempeitai, la "Gestapo japonaise", puis mobilisé sur le front.
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
Dans Le chemin de l’éternité, tandis que l’armée lui inculque, à force de vexations, de brimades et de sévices, la soumission, le cynisme et la violence, il devient, à son corps défendant, un soldat de l’armée impériale : mais l’expérience des tranchées et la déroute nippone le transforment, alors que son unité est détruite par une attaque de chars soviétiques, en un soldat vagabond. Dans la dernière partie, La prière d’un soldat, il se voit contraint de mener deux autres rescapés et un groupe de civils dans une longue marche à travers la Mandchourie hostile. Capturé par les Russes, il découvre dans le camp soviétique où il est retenu que le socialisme, qui était son idéal, y est lettre morte : il finira par mourir seul, enfoui sous la neige, en essayant de rejoindre son épouse.
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
Rarement un metteur en scène a maintenu, sur une durée aussi longue, un réalisme aussi saisissant et une telle puissance visuelle ; rarement un metteur en scène est allé aussi loin dans le désespoir et la force dramatique, pour soumettre son spectateur à une épreuve comparable à son héros : tant et si bien que certains ont pensé que c’était comme pour expier leur passé national que les Japonais s’infligeaient des projections de l’intégral du film. Ainsi, Kobayashi ne nous épargne rien des brutalités des gardiens japonais, ni des atrocités de la guerre : prisonniers entassés dans des wagons, chiens qu’on jette sur des fils de fer électrifiés, pour servir d’exemples à des prisonniers chinois, prostituées venant se livrer à des travailleurs privés de femmes depuis des années, scènes de flagellation, exécutions au sabre…
Mais la sincérité du propos n’entraîne jamais ni schématisation, ni prédication : sans l’ombre du moindre didactisme, Kobayashi met en scène tout aussi bien l’itinéraire moral d’un martyr de l’antimilitarisme qu’une fresque épique. Représentant de la génération d’intellectuels humanistes traumatisés par la guerre (comme le Kon Ichikawa de La harpe de Birmanie et des Feux sur la plaine), il n’assortit son film de réflexions philosophiques, politiques et idéologiques que pour faire comprendre à son spectateur son propre cheminement intellectuel et l’inviter à un parcours initiatique.
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
De fait, la production du long-métrage fut elle-même un combat : alors que la Shōchiku, qui l’employait jusqu’ici, refuse son projet, effrayée par son ampleur et son sujet, Masaki Kobayashi choisit d’acheter lui-même les droits du roman et de produire le film avec Ninjin Club, une société indépendante fondée par des acteurs, jusqu’à ce que l’ouvrage de Gomikawa devienne un succès de librairie et que le studio lui propose de distribuer le long-métrage.
Car, bien qu’à cause de ses redites, de ses invraisemblances et de ses dialogues un peu longs, il ne s’agisse pas d’un film parfait, La condition de l’homme bénéficie d’une mise en scène simple et impeccable : même s’il évite les procédés romanesques, Kobayashi confère à son long-métrage un lyrisme tout en contrastes et filme, dans un noir et blanc qui permet de visions inoubliables, l’odyssée d’une manière d’Ulysse nippon : à ceci près que celui-ci ne retrouvera jamais sa patrie, mais, comme L’Idiot de Dostoïevski, verra son idéal s’étioler au contact du réel et, pour que celui-ci demeure intact, préférera finir broyé. Car, c’est également dans ce sens qu’il faut comprendre le titre du film, en ce que Kobayashi nous y montre à quelle condition, selon lui, on peut être considéré comme un homme.
- Copyright : Ninjin Club / Carlotta Films
Postérieur de deux ans du Pont de la rivière Kwaï de David Lean et des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, La condition de l’homme ajoute à leur propos, notamment grâce au jeu de Tatsuya Nakadai, un sens, proprement japonais, de la rédemption qui redouble la dimension tragique de cette page de l’Histoire : rongé par les dilemmes et les remords, Kaji découvre en effet, dans les paysages désolés de la Mandchourie, que la bonne volonté ne suffit pas et que l’on ne peut guère échapper à la souillure de l’oppression sans devenir soi-même un opprimé : en somme, la tragique condition de l’homme.
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