Le 1er mai 2020
Ce véritable conte voltairien, incompris à sa sortie, s’avère aujourd’hui d’une brûlante actualité. Retour sur un film engagé pour un autre monde.
- Réalisateur : Coline Serreau
- Acteurs : Marion Cotillard, Vincent Lindon, James Thierrée, Coline Serreau, Andrée Damant
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Distributeur : AMLF Distribution
- Durée : 1h39min
- Date de sortie : 18 septembre 1996
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Résumé : Quelque part dans l’univers existe une planète dont les habitants évolués et heureux vivent en parfaite harmonie. De temps en temps quelques-uns d’entre eux partent en excursion sur d’autres planètes. Curieusement, depuis deux cents ans plus personne ne veut aller sur la planète Terre. Or un jour, pour des raisons personnelles, une jeune femme décide de se porter volontaire. Et c’est ainsi que les Terriens la voient atterrir en plein Paris.
Le succès différé d’un film d’avant-garde
Critique : « Mais qu’est-ce qui arrive à Coline Serreau ? » se demandait le journal Aujourd’hui en France à la sortie de La Belle verte, le 18 septembre 1996. Assassiné par les critiques et journaux de l’époque, ce film de, et avec la réalisatrice de Trois hommes et un couffin, fut un désastre commercial. Conte philosophique et écologique pétri de poésie et d’humour décalé, son style singulier et son contenu incisif ont incontestablement de quoi déconcerter. La violente remise en question du mode de vie occidental qu’il exprime a probablement été perçue, à l’époque, comme une blessure narcissique. La réalisatrice l’évoque elle-même comme une « provocation voulue » et ne regrette en rien son audace, malgré la perte financière engendrée. Actuellement, le film refait surface, visionné par un grand nombre de spectateurs. En septembre dernier, Coline Serreau confiait même à France Culture que lorsqu’on l’arrête dans la rue pour lui parler de son travail, c’est La Belle Verte qu’on lui évoque. L’actualité mondiale nous pousse, aujourd’hui plus que jamais, à nous demander de quoi ce succès différé peut être représentatif.
Des sujets au cœur des préoccupations actuelles
Le parcours de Mila sur la planète Terre nous présente notre quotidien sous un angle nouveau. La pollution de l’air et de l’eau à laquelle nous sommes habitués, malgré ses effets délétères sur nos organismes, la fait suffoquer, un peu comme un adolescent qui tire sur une cigarette pour la première fois. Habituée à des aliments purs et sains, Mila ne peut avaler les produits hyper-transformés dont nous nous gavons, au point qu’elle manque de mourir de faim. Son besoin viscéral d’être en contact avec l’eau et sa détresse de ne pouvoir en trouver une étendue naturelle à proximité mettent en valeur la transformation de l’environnement, qui éloigne de nos vies quotidiennes les éléments essentiels auxquels nous sommes liés. La perplexité des habitants de la Belle Verte face à l’utilisation de l’argent comme moyen d’échange non négociable, même pour les ressources essentielles comme la nourriture, souligne l’aspect fondamentalement inégalitaire de notre société. Si l’exemple donné par les habitants de cette planète utopique avait, à l’époque de la sortie du film, l’allure d’un manifeste révolutionnaire, et passait pour simpliste et irréalisable, c’était sans compter sur les mouvances actuelles qui ont émergé et dont l’importance grandit. A l’image des contes de Voltaire, La Belle Verte est un film fondamentalement politique. Et s’il ne s’embarrasse pas d’une narration complexe, c’est pour aller à l’essentiel, ce qui reste le propre de la structure des contes.
Un message d’espoir par la mise en lumière de possibles
Les habitants de la Belle Verte ont, eux aussi, connu la surconsommation et s’en sont détachés. Leur mode de vie paisible et lumineux, fondamentalement biocentrique et végétalien, est la conséquence d’une révolution radicale appelée le « chaos pré-renaissance » que les fils de Mila racontent aux terriens :
« Après l’ère industrielle, chez nous, il y a eu les grands procès et les boycotts. Tous les gens qui fabriquaient des produits nocifs contre la santé des humains, des animaux et des plantes ont été jugés coupables de génocide et de crimes contre la planète. L’industrie agroalimentaire et chimique, les fabricants d’armes, de tabac et d’alcool, les industries pharmaceutiques et nucléaires, les constructeurs automobiles, les architectes, beaucoup de médecins et les politiciens qui s’étaient enrichis en laissant faire. C’était la guerre civile. Après, il y a eu le boycott. Tout ce qui était mauvais pour la vie, on n’achetait plus, ou on jetait. C’était l’arme absolue. Plus d’argent, plus de pouvoir. L’armée et la police ne pouvaient rien contre le boycott . »
Les créateurs visionnaires ont des chances accrues de susciter l’incompréhension, la réception d’une œuvre artistique se faisant toujours à travers le prisme de références préexistantes. Si les premiers spectateurs du film pouvaient y voir une lamentation fataliste sur leur condition, les cinéphiles actuels peuvent se délecter de l’espoir qu’il porte en lui, certaines de ses propositions représentant déjà une réalité pour les écologistes radicaux de plus en plus nombreux qui tentent d’atténuer au maximum leur impact sur l’environnement, et dont la visibilité s’accroît. Loin de peser lourd dans la balance mondiale, les citoyens conscientisés qui tendent vers le mode de vie prônée par La Belle verte ne peuvent qu’être touchés par cette fable. La transformation de l’impact de ce film met en évidence l’importance des symboles et représentations dans l’évolution de la société. Ils servent à la fois de références, d’encouragements et d’idéaux.
La philosophie d’une ode à l’essentiel
Au son de Mozart et Bach, La Belle Verte met en valeur une manière d’être au monde privilégiant la connexion aux éléments, à son corps et à autrui. L’humour y est souvent utilisé pour mettre en avant les travers sociaux, comme la séquence du discours télévisé des politiciens qui se mettent brusquement à dire la vérité, montrant de façon grotesque tout leur mépris pour les citoyens les plus démunis. La célèbre scène du rouge à lèvres dénonce les carcans esthétiques imposés aux femmes, auxquelles elles se conforment par habitude, mais aussi, souvent, pour se sentir dignes d’être aimées. Les habitants de la Belle Verte, détachés des conventions superficielles, sont, quant à eux, parvenus à un stade de développement psychique qui leur permet la communication télépathique. Ils entretiennent la connexion avec leur corps par la pratique de sports artistiques comme le trapèze et autres acrobaties. Le contact et le toucher ont une place primordiale dans leur vie. Mila, ne pouvant rien manger sur la planète Terre, n’a qu’une solution pour rester en vie : elle doit prendre un nourrisson dans ses bras, être qui n’est pas encore déformé par le stress du quotidien des adultes. Cette importance du contact physique fait référence au besoin de contact propre aux mammifères vivant en groupe. De nombreuses études présentent l’impact néfaste de ce manque sur l’état physique et mental, à tous les âges de la vie.
Coline Serreau prône un toucher guérisseur désexualisé à travers le symbole du nouveau-né. Elle contourne ainsi les impératifs financiers vitaux dans notre société par un échange d’énergie profitable aux deux parties. Un cercle de transmission vertueux contrebalançant les chaînes de la société de surconsommation, qui gangrène les Terriens jusque dans leurs rapports humains, comme le montre l’exemple du couple joué par Vincent Lindon et Philippine Leroy-Beaulieu, qui prend conscience qu’ils étaient ensemble pour l’argent et par habitude, et décident de repartir sur de nouvelles bases grâce au secours de Mila, dont la présence leur a permis d’ouvrir les yeux.
Le succès actuel de La Belle Verte illustre l’évolution de la réception d’une œuvre comme symbole de transformations sociales. Imbibé de poésie subtile et décalée, le long métrage s’érige en chef-d’œuvre visionnaire, manifeste d’un renouveau politique et social possible dans la continuité des mouvements actuels de décroissance, de minimalisme et de respect du vivant. La crise sanitaire du Covid-19 semble être l’occasion idéale de découvrir ou redécouvrir toute la richesse de ce film désormais culte, qui questionne tout autant notre rapport à l’autre que celui que nous entretenons avec l’environnement et les espèces qui nous entourent.
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