L’une d’elles - La chronique BD

Una est une femme qui a subi à plusieurs reprises des violences sexuelles dans son enfance, et qui a été stigmatisée pour cela. Nous sommes dans le Yorkshire des années 1970, où s’exprime certes une « contre-culture » mais aussi un certain conservatisme, et où la vision patriarcale de la femme est solidement ancrée dans les mœurs. Mais la région est également marquée par l’affaire dite de « l’Éventreur du Yorkshire », qui fait figure de traumatisme collectif pour les habitants. Una relate avec une grande précision les événements de l’époque, et déconstruit l’enquête en démontrant que l’absence de prise de considération de la parole des « survivantes » et le regard sexiste porté sur cette affaire ont considérablement ralenti la progression de l’enquête.

Una relate ici les débuts erratiques de l’enquête sur le fameux « Éventreur du Yorkshire » - ©Una ça et là pour l’édition française

C’est dans cette atmosphère de peur collective qu’Una grandit, et l’auteure lie avec une certaine fluidité l’enquête à des passages autobiographiques qui reviennent sur son propre traumatisme lié aux viols qu’elle a elle-même subie dans son enfance, les conséquences désastreuses pour son équilibre et l’impossibilité physique d’en parler. L’ensemble donne un ouvrage hybride, difficilement classable. Pour (se) raconter, Una a recours à un dessin souvent symbolique (arbres morts, bulle symbolisant la charge morale de l’auteure) qui donne une atmosphère de profonde mélancolie au livre. L’association texte/image s’avère originale : le texte jouxte ou s’intègre au dessin. Certaines pages très chargées en texte alternent avec d’autres où ne figurent que des dessins symbolisant l’état émotionnel de l’auteure.

L’auteure raconte la violence sexuelle dont elle est victime enfant - ©Una ça et là pour l’édition française

C’est donc un livre très intime que nous offre Una, où la charge psychologique post-trauma transpire encore malgré les années. Toutefois, il serait faux de réduire L’une d’elles à un exutoire graphique. Bien au contraire : si l’auteure est à fleur de peau, on sent que l’ouvrage est issu d’une longue maturation intellectuelle et de recherches approfondies sur le sujet, ce qui rend la lecture d’autant plus intéressante.
L’une d’elles questionne la violence structurelle dont sont victimes les femmes dans un monde (encore) dominé par les hommes. Elle met en évidence la violence, l’impossible oubli et la difficile prise de parole de victimes considérées comme des parias. Dans le contexte du mouvement #metoo consécutif à « l’affaire Weinstein » et la libération de la parole des femmes, c’est peu dire que l’ouvrage arrive à point nommé.