Le 4 mars 2019
Des femmes et des hommes trans témoignent de leurs expériences dans un spectacle cathartique. Un film passionnant.
- Réalisateur : Stéphane Mercurio
- Genre : Documentaire, LGBTQIA+, Inédit (salle, vidéo)
- Nationalité : Français
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Résumé : Filmer le metteur en scène, Didier Ruiz au travail avec ses comédiens, c’est mettre les pieds dans une aventure collective dont nul ne ressort indemne. L’enjeu pour les futurs protagonistes de la pièce, Ian, Raul, Sandra, Leyre, Neus, Clara, Danny, des personnes trans : raconter chacun leur histoire, devant un public. Il faut du cran pour monter sur une scène et livrer le récit de sa vie. Et nous, spectateurs conscients de cette fragilité, nous écoutons ces équilibristes. On assiste ainsi au fur et à mesure des répétitions à une éclosion. Filmer le surgissement de cette parole est un cadeau. Un voyage plein de surprises ou les questions sur le féminin, le masculin, la norme, la liberté, les archétypes, la transgression, la sexualité nous assaillent et font basculer toutes nos certitudes.
Critique : D’abord, on voit les comédiens et les comédiennes qui suivent les recommandations du metteur en scène : la voix off leur demande d’incarner un sentiment. Au ralenti, des postures s’agencent, du manspreading aux jambes croisées. Ce qu’on l’on découvre d’emblée est une illustration de ce que Judith Butler a nommé "la performativité du genre", de son imprégnation profonde dans l’imaginaire collectif et ses effets immédiats, qui consistent évidemment en des assignations discriminantes nourries par une hétéronormativité multi-séculaire. Or, le jeu est bien une façon de ne pas répondre à ces injonctions -ce qui serait une manière d’auto-justification-. Le formidable livre de Butler, Trouble dans le genre, envisageait déjà, dans ses dernières pages, une manière de parodie de la matrice hétérosexuelle sur laquelle s’alignent des postures féminines et masculines. C’est par cette imitation distanciée, comme un miroir tendu aux pressions normatives, que débute ce superbe documentaire.
Stéphane Mercurio a suivi pendant plusieurs semaines un spectacle mis en scène par Didier Ruiz, "Trans (més enllà)", qui a permis à une troupe d’acteurs espagnols de partir en tournée, après avoir créé la pièce à Barcelone. Les séances de répétition alternent avec les témoignages plus informels des comédiens ou les intègrent. Tous et toutes ont évidemment vécu les formes de la discrimination transphobe, qui se déclinent en moqueries verbales, actions humiliantes, agressions physiques. Tous et toutes racontent, avec précision, le rapport à leur nouveau corps : leur narration fluide se double d’un sens aigu de l’auto-analyse qui, de la plénitude totale à la semi-satisfaction, esquisse une transition, un achèvement total de la mutation ou un aller-retour durable dont la possibilité rend le concept même d’identité complètement caduque. L’intensité des situations est immanente aux récits proposés. Parfois, elle remonte jusqu’aux lèvres des intervenants qui s’interrompent, bouleversés par ce qu’ils racontent, bouleversants jusque dans leurs analyses qui déplacent nos cadres référentiels : assignées à des corps et des sexes, nos vies font globalement allégeance à ce que nos gènes décrètent, sans oser la tangente. Incidemment, comment ne pas voir dans ces peurs qui sont partagées par les trans eux-mêmes, les effets de ces destins biologiques, transmuées en normes sociales, qui obligent la différence à s’invisibiliser, pour ne pas vivre la sanction d’une exclusion définitive ?
On peut regretter que le sujet du spectacle éclipse des interrogations purement formelles, relatives à la mise en scène. Ces réserves n’enlèvent rien à la qualité de ce film et aux réflexions qu’il suscite.
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Le film "L’un vers l’autre" sera diffusé le 29 mars prochain, sur France 3, dans l’émission "Libre Court".
- ©ISKRA, La Générale de Production 2019
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