Les villes sont froides
Le 4 mars 2011
Dans ce film-opéra mordant et sublime, Daniel Schmid, adaptant une pièce de Fassbinder, questionne l’horreur mortifère du monde capitaliste.
- Réalisateur : Daniel Schmid
- Acteurs : Jean-Claude Dreyfus, Ingrid Caven, Ulli Lommel, Rainer Werner Fassbinder, Klaus Löwitsch, Adrian Hoven, Ila von Hasperg, Peter Chatel, Annemarie Düringer, Irm Hermann, Raul Gimenez
- Genre : Drame, Musical, Politique
- Nationalité : Allemand, Suisse
- Festival : Hommage à Renato Berta
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– Titre original : Schatten der Engel
– Première mondiale : 31.01.1976 à Soleure (Solothurn)
– Durée : 1h41mn
Dans ce film-opéra mordant et sublime, Daniel Schmid, adaptant une pièce de Fassbinder, questionne l’horreur mortifère du monde capitaliste.
L’argument : Lily se prostitue sous un pont de Vienne mais ne ramène pas d’argent à son souteneur Raoul. Jusqu’au jour où "le riche promoteur juif" se présente, et lui propose de l’écouter et de devenir riche. Lily n’est plus la même et ses proches la renient. Lily voudra disparaitre...
Notre avis : Dans le Monde du 18 février 1977, Gilles Deleuze s’insurgeait contre l’inanité des reproches faits au film de Daniel Schmid L’Ombre des anges sorti à Paris peu de temps avant et violemment attaqué sous prétexte que certains personnages y tenaient des propos antisémites et qu’un d’entre eux n’était jamais désigné autrement que comme le riche juif, (y compris par lui-même à la troisième personne !).
Le philosophe voyait très justement dans ces attaques la manifestation d’un néo-fascisme ... une entente mondiale pour la sécurité, ... avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de micro-fascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma.
C’est justement contre le danger de cette frilosité finissant par tuer dans l’oeuf toute pensée politique que Fassbinder avait écrit la pièce Les ordures, la ville et la mort dont le film est une adaptation. Ce texte est magnifique mais sa beauté, faite d’ironie désespérée, risque fort de n’être perceptible que par les germanistes aguerris, la traduction en gommant souvent l’humour mordant et subtil. Daniel Schmid le considérait comme le plus beau de son auteur (qui écrivit, rappelons-le, une trentaine de pièces de théâtre). Il n’est pour ainsi dire constitué que de citations, de discours préexistants, certains en apparence inoffensifs, d’autres terrifiants : phrases toutes faites, lieux communs, circonvolutions de langages vides de sens, slogans, comptines, refrains de chansons à succès, airs d’opéra, proverbes.
Ces discours flottant dans l’air, les personnage, pantins blafards, semblent les attraper au vol pour les réciter avec une espèce de tristesse désabusée. Leurs rôles sont interchangeables et comme distribués au hasard : le Nain est un géant (Jean-Claude Dreyfuss), le riche juif (Klaus Löwitsch) ne ressemble en rien à l’imagerie raciste traditionnelle, les prostituées conversent entre elles en utilisant le langage châtié des dames de cour dans un drame du 18ème siècle, le souteneur-bourreau (Fassbinder) devient l’homosexuel victime expiatoire, l’ancien dignitaire nazi (Adrian Hoven) chante des vieux tubes de Zarah Leander en travesti dans des boites de nuit.
Tourné à Vienne en 1975 dans des entrées d’immeubles vétustes aux murs lépreux, des palais délabrés, des ruines industrielles ou des terrains vagues au bord du Danube le film est une ronde macabre, celle d’un monde régi par les lois implacables d’une machinerie capitaliste terrifiante et mortifère.
La photo sublime de Renato Berta fait surgir une beauté sans cesse menacée au coeur même de la laideur de cet univers en décomposition et célèbre la fragilité diaphane d’Ingrid Caven dans son rôle de prostituée trop belle qui se lasse très vite du pouvoir que lui confère sa faculté d’écouter, de recueillir les peurs des autres (dans la scène extraordinaire de l’industriel débitant son discours abject sur les chambres à gaz elle est debout, immobile, de dos).
Car Daniel Schmid fait de la pièce acerbe et sombre de Fassbinder un rituel d’opéra dont la stupéfiante beauté ne se fige jamais en esthétisme. C’est elle au contraire, la beauté, qui comme dans ses autres films, questionne inlassablement l’horreur du monde et refuse de l’accepter comme un fait acquis.
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