Valse des corps à contre-coeurs
Le 12 juillet 2023
Entre coup de foudre et rideau de fer, le film passionné de Philip Kaufman, d’après le roman de Milan Kundera, interroge sur L’insoutenable légereté de l’être, de l’amour et de l’existence.
Un chef-d’œuvre.
- Réalisateur : Philip Kaufman
- Acteurs : Bruce Myers, Clovis Cornillac, Stellan Skarsgård, Daniel Day-Lewis, Erland Josephson, Daniel Olbrychski, Juliette Binoche, Lena Olin, László Szabó, Derek de Lint, Jean-Claude Dauphin, Jacques Ciron, Donald Moffat, Jean-Claude Bouillon
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Ciné Sorbonne (reprise)
- Durée : 2h51mn
- Date télé : 25 juillet 2016 20:55
- Chaîne : Arte
- Reprise: 27 juillet 2016
- Titre original : The Unbearable Lightness of Being
- Date de sortie : 2 mars 1988
Résumé : Prague, 1968. Tomas, brillant neurochirurgien, collectionne les conquêtes. Il couche régulièrement avec Sabina, une artiste avec qui il s’entend bien sexuellement et intellectuellement. De passage en province, il remarque Tereza, une jeune femme fougueuse et presque ingénue, qui tombe sous son charme. Un beau jour, elle débarque à Prague et s’installe chez lui. Les deux tourtereaux se marient. Tomas n’en cesse pas moins de la tromper, ce que la jeune femme supporte mal. Sous l’influence de Sabina, Tereza devient photographe. Un jour, les chars russes entrent dans la ville.
- © 1988 The Saul Zaentz Company / Orion Pictures. Tous droits réservés.
Critique : Réalisée en 1987, l’adaptation du roman L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera (1982), chronique avec une gracieuse gravité la vacuité du genre humain.
Tout passe, rien ne dure et la vie défile vite dans ce film fleuve de près de trois heures. Porté par un casting qui crève l’écran (notamment Juliette Binoche, sublime, en route pour une carrière internationale), ce classique du cinéma des années 80 joue sur l’éternel dangerosité du triangle amoureux.
Au sommet de la pyramide il y a Tomas, solaire, sensuel, presque félin. À ses pieds deux femmes : Tereza, l’épouse-femme-enfant ; et Sabina, la maîtresse volage et fantasque. Pour le jeune homme, c’est l’équation parfaite. Mais lorsque vient poindre la réalité, l’équilibre se meurt. Les canons des Soviétiques envahissant la Tchécoslovaquie remettent les pendules à l’heure. Prague est la première prise. La liberté vient après. À l’image, la brume opaque s’éprend, telle une geôlière, des rues de la capitale. Omniprésente, elle glisse sur les corps et grise les âmes d’une froideur contagieuse. Pétrifiée mais vivace, la rébellion s’élève. Le fond de l’air est rouge à Prague en ce printemps-là.
- © 1988 The Saul Zaentz Company / Orion Pictures. Tous droits réservés.
L’appareil photo au poing, l’audacieuse Tereza mitraille ses adversaires. Comme pour mieux s’en protéger. Plus tard, face au corps nu de Sabina, l’appareil reviendra la secourir. Un peu ailleurs et si sérieuse, Tereza (Juliette Binoche), semblable à Atlas, porte le poids du monde sur son cœur. Tout lui pèse : l’enlaidissement de Prague, la noirceur de ses semblables, mais surtout, la frivolité de son mari.
À l’inverse, Sabina, véritable femme fatale, joue de l’absurdité d’un monde qu’elle sculpte avec violence de teintes rougissantes et d’éclats de verre. Intrépide et taquine, Lena Olin est ici d’une sensualité saisissante, emportée et frénétique. Dominatrice, elle ne se laisse pas atteindre. Mais à bien y regarder, c’est peut-être bien elle la plus fragile.
Intuitif mais complexe, le récit de Kaufman restitue avec finesse la complexité des attachements et des (dés)engagements. Loin de l’idéal romantique, l’amour est ici maladroit, intense, violent et irréversible. Le coup de foudre de Tomas et Sabina peut même sembler ridicule, quand, dans un élan insensé, leurs corps cèdent à la pression et s’abandonnent à l’autre. Une union chaotique qui renverse tout sur son passage, des vêtements arrachés aux meubles... Au diable les préliminaires.
Les corps à corps sont vibrants de plaisir, d’émotion, et de souffrance aussi, surtout quand vient retentir l’heure du départ. Dans L’insoutenable légèreté de l’être, la déchirure est synonyme d’abandon. Abandon de la première fois (Tereza), mais aussi reddition (face aux Russes), et expatriation (en Suisse).
- © 1988 The Saul Zaentz Company / Orion Pictures. Tous droits réservés.
Rythmé par un montage romanesque, mêlant avec onctuosité images d’archives et images fictionnelles, L’insoutenable légèreté de l’être s’apparente au cri de Munch, dans ce qu’il a de cruellement angoissant et de plus désespéré. L’existentialisme, niché aux quatre coins du cadre, se matérialise discrètement en de subtiles entités. Un brouillard, une mort, une arrestation, et parfois même un chapeau...
Ironie du sort, la mort fauchera Tomas et Tereza, les deux survivants à la russification ensanglantée de Prague, quelques temps plus tard, sur une tranquille route de campagne... De leurs sourires gorgés de larmes et de leurs regards baignés d’incertitude, Kaufman tire une fresque intemporelle sur la fureur et la douleur d’être au monde. Un classique.
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birulune 7 février 2017
L’insoutenable légéreté de l’être - Philip Kaufman - critique
Waouh bien belle critique ! Sans fausse note a part peut être l’utilisation d’une notion de philo sartrienne (" l’existentialisme niché aux quatre coins du cadre") qui n’a rien à voir avec l’histoire car Kundera est farouchement anti-sartrien
Pour le reste que du bonheur que cette critique