Le 6 octobre 2022
L’événement cristallise l’audace d’une cinéaste parmi l’une des rares à traiter l’avortement comme un acte politique et, par dessus tout, une catharsis. Audrey Diwan relate avec une force inaltérable la quête d’émancipation d’une adolescente considérant la procréation comme une aliénation.
- Réalisateur : Audrey Diwan
- Acteurs : Sandrine Bonnaire, Anna Mouglalis, Pio Marmaï, Kacey Mottet-Klein, Julien Frison, Fabrizio Rongione, Anamaria Vartolomei, Louise Chevillotte, Luàna Bajrami, Cyril Metzger
- Genre : Drame, Drame social
- Nationalité : Français
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h40mn
- Date télé : 5 mars 2024 21:10
- Chaîne : France 2
- Date de sortie : 24 novembre 2021
- Festival : Festival de Venise 2021
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Résumé : L’histoire d’Anne, très jeune femme qui décide d’avorter afin de finir ses études et d’échapper au destin social de sa famille prolétaire. L’histoire de la France en 1963, d’une société qui condamne le désir des femmes, et le sexe en général. Une histoire simple et dure retraçant le chemin de qui décide d’agir contre la loi. Anne a peu de temps devant elle, les examens approchent, son ventre s’arrondit...
Critique : Indubitablement, l’audace est ce qui caractérise le plus L’événement, l’audace d’une cinéaste parmi l’une des rares à traiter l’avortement, au-delà de l’évocation d’une douleur réelle, comme un acte politique et, par-dessus tout, une catharsis. Audrey Diwan semble avoir de belles prédispositions à doser à la goutte d’eau près son éprouvette émotionnelle, consciente du caractère intensément réaliste de son sujet, car L’événement est avant tout un récit d’émancipation, à la fois sociétale et spirituelle, d’une adolescente considérant la procréation comme le tombeau de la condition féminine, l’objet de son aliénation. En choisissant d’adapter le roman éponyme d’Annie Ernaux avec une esthétique contemporaine, Audrey Diwan se pose comme une auteure profondément engagée, comme l’atteste la dichotomie entre cette adolescente au visage bénin confrontée aux mécaniques totalitaires de la société française du début des années 1960. Il s’agit pour Audrey Diwan de combattre la négation de la Femme, et par extension de son corps, en prônant l’éveil perpétuel des consciences, quand bien même la violence de ce microcosme tentaculaire enrayerait l’espoir d’un quelconque bouleversement. L’événement bénéficie d’un traitement cinématographique exemplaire tout en refusant d’emprunter des cheminements balisés ou copier des trajectoires dramatiques déjà vues ailleurs. En effet, contrairement à d’autres œuvres ayant traité l’image de l’avortement clandestin dans l’Histoire comme Une affaire de femmes de Claude Chabrol, qui narrait l’histoire vraie de Marie-Louise Giraud, une faiseuse d’anges guillotinée sous l’Occupation, ou bien encore Vera Drake de Mike Leigh, portrait d’une prolétaire anglaise pratiquant l’avortement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, L’événement à cette particularité de se concentrer uniquement du point de vue de la cliente et son expérience traumatique. Sans jamais tomber dans le réalisme ostentatoire, L’événement constitue un certain aboutissement dans le mariage entre fiction et réalité, le tout prolongé par une mise en scène faisant corps avec son sujet.
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Le nouveau film d’Audrey Diwan qui a prouvé plus d’une fois sa maestria technique et une passion pour la narration à fleur de peau, s’annonçait comme un nouveau tour de force, étayé par un procédé de scénographie à la fois ambitieux pour le cinéaste qui décide de s’y employer, et profondément immersif, en ce qui concerne l’introspection du spectateur vis à vis du personnage qu’il suit : le plan-séquence. Celui-ci va à l’encontre de la grammaire cinématographique classique puisqu’il consiste à retranscrire toute la sève dramatique d’une scène en un seul plan, sans coupure. Audrey Diwan semble avoir bien compris le fondement d’un tel parti pris, et ce que le mouvement de celui-ci peut évoquer, le contexte de l’urgence de l’avortement se prêtant parfaitement à ce dispositif. La caméra s’affranchit des contraintes spatiales et brise la barrière extradiégétique du long métrage en utilisant avec intelligence la profondeur de champ comme une superposition de deux ou plusieurs actions sur une même image. C’est là que L’événement atteint une maîtrise formelle d’une rare intensité tout en nous rappelant que la technicité doit toujours être au service de l’histoire, et non l’inverse. Mais L’événement ne peut se résumer à sa prouesse technique, cela serait faire tort au travail réflexologique d’exception que nous offre Audrey Diwan. Et il semble évident que L’événement possède une capacité hors normes à dépeindre les sixties avec son déchaînement de violence symbolique, ses horreurs, cette aberration inextricable que constitue la condamnation du droit fondamental de la Femme à disposer de son corps. L’événement demeure une œuvre à la fois mémorielle et révélatrice du cataclysme social à venir, notamment dans la loi pour la dépénalisation de l’avortement en France qui sera votée une dizaine d’années après les événements du film. La protagoniste, Anne, devient à l’écran une sublime métaphore de la révolution sexuelle et tous les nouveaux questionnements qui en découlent, autant qu’un symbole intergénérationnel de la condition féminine et l’enrôlement de celle-ci au sein d’un engrenage démagogique inepte. Une œuvre à la portée politique incandescente.
Le test Blu-ray
Image :
Le choix du format 1.37:1 est une porte ouverte à bien des audaces filmiques insoupçonnées mais calibrées avec justesse.
Son :
Le soundtrack sublime des compositeurs Evgueni Galperine et Sacha Galperine est un choix assumé par Audrey Diwan.
Compléments :
– Entretien avec Audrey Diwan :
Il dure plus d’une quarantaine de minutes et nous en dit beaucoup sur les intentions de la réalisatrice. La peur est en filigrane dans tout le film. Le long-métage est une adaptataion du livre d’Annie Ernaux qui a travaillé main dans la main avec Audrey Diwan comme "une sorte de boussole" (nécessité de pointer ce qui n’est pas juste). Rappelons que L’événement, thriller initme, se déroule dans les années 1960. Il y a une comparaison à souligner entre l’avortement légal (routine) et l’avortement clandestin (fait de hasards). La détermination absolue du personnage principal (Anne campée impeccablement par Anamaria Vartolomei) est mise en avant. Abandonner ses études pour un étuduant prolétaire était vécu, à l’époque, comme une trahison familiale. La prestation de Sandrine Bonnaire dans le rôle de la mère d’Anne est époustouflante.
– Bande-annonce
– Crédits
– Sortie DVD/Blu-ray : 30 mars 2022
Galerie photos
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