Le 15 avril 2018
Rêverie argumentée autour d’un film inachevé, ce documentaire précieux donne une idée de ce qu’aurait pu être l’œuvre, mais la présente surtout comme une impasse énigmatique.
- Réalisateurs : Serge Bromberg - Ruxandra Medrea
- Acteurs : Serge Reggiani, Bérénice Bejo, Jacques Gamblin, Romy Schneider, Dany Carrel
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
- Durée : 1h34mn
- Box-office : 50 507 entrées
- Date de sortie : 11 novembre 2009
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– Ce film est compris dans le beau coffret DVD : Clouzot l’essentiel, paru le 24 octobre 2017.
Résumé : En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de "L’Enfer". Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un "événement" cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l’on disait "incroyables" ne seront jamais dévoilées. Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l’avait prédit. Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l’histoire d’un tournage maudit et celle d’Henri-Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n’a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n’aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu’il a inventé. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une "recomposition" de l’œuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l’histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d’exister enfin.
Notre avis : Serge Bromberg raconte malicieusement les circonstances de sa rencontre avec la veuve de Clouzot, et ses difficultés pour voir les images de L’enfer, film maudit et à jamais inachevé. Endormies depuis plus de quarante ans, 185 boites contenant 13 heures de rushes attendaient une improbable résurrection ; à partir d’elles et de multiples témoignages, Bromberg et sa co-réalisatrice ont tenté de reconstituer les aléas d’un tournage catastrophique, qui a été définitivement abandonné après l’infarctus du cinéaste.
On ne saura évidemment jamais ce qu’aurait été le film : impressionné par 8 1/2 de Fellini, Clouzot voulait révolutionner le cinéma et cherchait une manière inédite de filmer la jalousie. Autrement dit, faire une œuvre qui tienne non par son sujet, mais par sa réalisation expérimentale, une œuvre de pure mise en scène. Pour cela, il avait le projet de montrer en noir et blanc l’histoire réaliste et de réserver la couleur à la vision déformée du jaloux (Serge Reggiani) : effets de lumière, de couleurs, déformations devaient rendre compte de sa maladie, en même temps que le son lui aussi se fût apparenté à des hallucinations auditives. Ce qui reste de ces recherches frappe surtout par une certaine naïveté et fleure bon les années 60 mais au dire de certains intervenants, ce n’était qu’un vivier dans lequel Clouzot aurait puisé, sans qu’on sache bien sûr ce qu’il aurait retenu et comment il l’aurait inséré. Difficile donc de deviner ce à quoi aurait ressemblé L’enfer, mais on frémit en pensant à La prisonnière, qui a utilisé quelques-unes de ces idées (et certains acteurs, comme Dany Carrel et André Luguet) et qui n’a pas laissé un trop bon souvenir.
Mais le plus passionnant dans ce documentaire très précis, c’est l’impression tenace d’un suicide artistique (et presque réel) : tout a concouru à un échec programmé, depuis les délais (le lac au bord duquel Clouzot filmait allait être vidé vingt jours plus tard) jusqu’aux tensions multiples qui aboutirent au départ de Reggiani. Tout semble s’être ligué contre lui, mais lui-même était insupportable et terriblement seul : à la fois producteur et réalisateur, tyrannique sur le plateau (il a fait courir des heures le comédien, s’engueulait avec Romy Schneider), incapable de faire partager sa vision du métrage (mais en avait-il une définitive ?), il s’entêtait à filmer sans cesse des plans, même après la fuite de Reggiani, comme un baroud d’honneur ou un gigantesque pied de nez. A-t-il eu conscience que son travail n’aboutirait jamais ? L’un de ses collaborateurs assure l’avoir vu désemparé ; un autre, parlant de l’infarctus, ajoute : « ça tombait bien, on était trop mal embarqué ». On ne saura jamais la part à quel point Clouzot a joué, volontairement ou pas, contre son film, et sans doute est-ce mieux ainsi.
Restent donc des images, et quelques lignes du scénario jouées par Jacques Gamblin et Bérénice Béjo (qui fait beaucoup penser à ce que fera Emmanuelle Béart dans la version de Chabrol), c’est à dire l’idée d’un film, que chacun peut recomposer ou au moins sur lequel il peut rêver : il faut dire que la beauté de Romy Schneider est renversante, que certaines séquences (le ski nautique, le train fonçant sur elle nue, le retour de Reggiani chez lui ou la filature dans la rue), même muettes, ont quelque chose de fascinant même si l’idée de teindre l’eau en rouge laisse songeur, tout comme les expérimentations qui comportent pourtant leur lot de belles images décontextualisées. À jamais donc, L’enfer (et le titre convient autant au sujet qu’au tournage) demeure un ensemble de traces, un foisonnement désordonné auquel ce beau et sage documentaire rend un hommage attendri.
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