L’échelle de Richter - Luc Desportes, Raphaël Frydman - la chronique BD

Renouveler le polar, son approche, son ambiance, c’est une visée que beaucoup peuvent avoir mais que peu touchent du doigt. Avec ce roman graphique imposant, tendu, ferme, organisé comme une galerie de portraits de minables, de ratés ou de vulnérables, souvent les trois à la fois, L’échelle de Richter propose un polar revisité, aux accents de chronique, de roman des éditions de Minuit. Ce choix de prendre une journée, quelques heures de la vie de quelques personnes, liées de manière inextricable par un meurtre mais sans vraiment se croiser, paraissait devoir reprendre le très courant "vies parallèles/destins croisés". Pourtant, avec ce cuissot payé au black dans l’hôtel, cette jeune serveuse dont le premier rôle d’actrice sera une morbide reconstitution, mais surtout ce rappeur has been, les destins sont entrevus, mais ils ne vont jamais se croiser, seulement tracer leur route parallèlement, et l’épilogue de chacun au final viendra le rappeler : un meurtre, s’il devait être mesuré par une échelle humaine, n’a pas la même force selon les personnes, la même vibration.

Luc Desportes, Raphaël Frydman / Gallimard BD

Cette vibration et cette force, le dessin les a condensées, réduites, presque assimilées à quelques traits, répartis sur presque cinq cents feuilles très blanches. Autant de visages qui paraissent à peine griffés par un pinceau, autant de décors qui peuvent apparaître familiers, de l’hôtel miteux au kebab de quartier, qui n’ont pas un détail de trop, pas une clarté malgré tout le blanc qui les entoure. Là encore, le roman graphique excelle dans cette volonté de montrer une réalité si fragmentée, si reconstituée qu’elle en devient vérité. Ce pouvoir du dessin si minime est donc une force pure, dont l’épicentre se trouve au milieu de chaque planche, sans avoir besoin de marges, sans aller jusqu’au bord.

Luc Desportes, Raphaël Frydman / Gallimard BD

Effarant de puissance réaliste et efficace dans son déroulé de notices biographiques désossées, L’échelle de Richter est préfacé par Cédric Klapisch et justifie pleinement les louanges du réalisateur.