Le 24 mars 2025


- Scénariste : Paco Roca>
- Dessinateur : Paco Roca
- Collection : MIRAGES
- Genre : Drame, Historique, Société
- Editeur : Delcourt
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 22 janvier 2025
Une fouille des archives familiales et cimetières populaires de l’histoire récente espagnole
Résumé : En 2010, une fouille est enfin accordée au coeur d’un cimetière pour retrouver les restes d’une fosse commune, soixante-dix ans après des exécutions de la part des franquistes. La fille d’une de ces morts y attend patiemment que l’on identifie son père...
Critique : Il y a une certaine prouesse, une élégance rare dans ce que narre Paco Roca dans L’abîme de l’oubli. Parvenir à recréer de manière quasi historique des personnages à travers leurs actes ou leurs paroles, faire revenir aussi bien à la vie des défunts grâce à leurs proches et parents, s’engouffrer dans des lieux réels et des évènements qui ont autant marqué un pays, c’est effectivement une certaine idée de la fiction que l’auteur parvient à collecter, recoller et brandir finalement, à l’image de cette Pepica, qui voudrait pouvoir dire qu’elle sait où se trouve son père, afin qu’il repose en paix. Il faut en effet collecter, comme ce travail titanesque de ces archéologues venus pour niveler une tombe géante, sans trésor ni apparat, ce gouffre de l’inhumanité qui a frappé si durement ceux qui ont résisté ou qui ont fait mine de ne pas soutenir ce régime dictatorial qui s’impose à toute l’Espagne à partir de 1939. Recoller ensuite, car c’est au détour de petites bribes, des messages, des photos, des écrits, que se dessinent les vies et les morts de centaines d’hommes qui n’ont eu ni juge ni avocat, qui ont vu les balles mais pas leurs familles. Brandir enfin, car cette histoire dans la grande Histoire est un pied de nez à l’oubli, à ceux qui enterrent aussi bien les morts que les souvenirs, à qui les vestiges font peur alors qu’en les affrontant, le présent et l’avenir prend tellement plus de sens. Car il faut le dire, cet Abîme de l’oubli est avant tout politique, et les émotions qui traversent l’œuvre sont humaines, mais son but est plus large.
© Delcourt / Roca
Le dessin n’est pas en reste pour évoquer ce combat qui a des allures de travail sisyphéen. En choisissant de nouveau ce format paysage, Roca impose des planches basses, contractées, cadenassées comme une fosse où l’on est serré, là où certains ont agonisé alors que le fossoyeur, celui par qui tout commence et tout finit dans cette histoire, apporte un rayon d’espoir, toujours douché, mais finalement libérateur. Les tonalités de terre, de sable et de kaki accentuent d’autant plus ce malaise, cette impression de lourdeur des esprits, de torpeur des âmes de cette période troublée, de petitesse et de cruauté alors que certains ne réclamaient qu’un peu d’humanité. Ici encore, le dessin apporte donc son écot dans la transcription de cette émotion, dans l’atmosphère de terreur que chaque pays connaissant la guerre civile peut connaître, et dans ce bagage invisible qui se porte par les générations suivantes.
© Delcourt / Roca
Œuvre indéniable et positive malgré sa charge historique et dramatique incommensurable, L’abîme de l’oubli fait partie de ces ouvrages qui intègre l’histoire dans la culture générale pour mieux la faire accepter, voire pour mieux la faire tout simplement voir.
296 pages – 29,95 €