Le 18 mars 2025


- Scénariste : Antoine Schiffers>
- Dessinateur : Antoine Schiffers
- Genre : Drame, Historique, Chronique sociale
- Editeur : Casterman
- Date de sortie : 12 mars 2025
Le road-trip d’une mère à la recherche de sa fille dans la Tchétchénie en guerre.
Résumé : 1998. D’origine tchétchène, Katerina vit en Allemagne depuis 10 ans. Face aux images de son pays en guerre, elle décide de partir pour son village natal afin de retrouver sa fille, Katya. Là-bas, elle découvre une région en ruines où les habitants, soumis à la violence de l’armée russe, survivent tant bien que mal. Dans sa quête, Katerina rencontre un adolescent désœuvré, Malik, qui l’emmène sur sa moto à la recherche des traces de sa fille…
Critique : Lauréat en 2023 du prix Raymond Leblanc de la jeune création pour ce projet, le belge Antoine Schiffers livre un récit sur la guerre d’une étonnante maturité, en se plaçant à hauteur de femmes. Sous-titré « La guerre. Partout. Toujours » avec un immeuble qui brûle derrière l’héroïne de l’histoire, l’album s’arrête sur les ravages de la guerre et ses conséquences sur les civils, et en particulier sur les femmes. Si le propos possède une visée universelle, l’auteur ancre son récit durant la guerre de Tchétchénie, l’une des plus terribles guerres civiles contemporaines. L’intervention de l’armée russe, d’une brutalité inouïe, provoque la destruction de la plupart des infrastructures civiles de la région et le massacre de dizaine de milliers de civils.
- © Antoine Schiffers / Casterman
S’il ne donne pas d’éléments de contexte historique dans l’album – ce n’est pas son propos –, Katya expose dans son dessin la désolation provoquée par le conflit : immeubles éventrés, population sans domicile fixe à la recherche de nourriture ou de leurs proches disparus, tension extrême entre civils et militaires… Autant de scènes que l’on pourrait malheureusement transposer dans d’autres guerres civiles contemporaines, de la Syrie au Soudan.
Au milieu de ce désastre, Katerina a un objectif : retrouver sa fille ou, si celle-ci est morte, connaître son destin. On ignore pourquoi, et dans quelles circonstances, Katerina a dû se séparer de sa fille pour partir en Allemagne. L’album, peu verbeux, laisse au lecteur le soin de reconstituer lui-même ce parcours de vie. Loin des stéréotypes des héroïnes féminines de la bande dessinée, Antoine Schiffers dresse avec Katerina le portrait d’une femme forte et déterminée sous sa figure ronde et son voile, qui porte en elle quelque chose de tragique. L’héroïne forme un duo assez improbable avec Malik, cet adolescent qui a vécu l’horreur et qui n’a d’autre but que d’aider cette femme. Certaines scènes glacent le sang, à l’image du premier dialogue entre ces deux personnages : lorsque Katerina demande à Malik où est la sœur dont il vient de parler, le garçon répond : « Dans un trou » et précise « C’est des soldats qui l’ont mise dedans ».
- © Antoine Schiffers / Casterman
La rencontre entre Katerina et Malik dans le premier tiers du récit donne du souffle à l’album, qui devient dès lors un road trip. On comprend que Katerina voit dans Malik son enfant qu’elle n’a plu.
Sur le plan graphique, l’album opte pour des tonalités froides où domine le gris. Le dessin mêle un trait fin – qui donne du relief aux décors de désolation ainsi qu’aux expressions des personnages – et des volumes de couleurs (blanches, rouges ou noires, en fonction de l’effet recherché). Antoine Schiffers offre une réelle variété dans le découpage : certaines planches comprennent plusieurs petites cases, d’autres s’arrêtent sur un paysage ou une situation. Le jeune dessinateur n’a pas peur de laisser parler son trait : plusieurs pages sont presque muettes, et c’est au lecteur de se mettre à la place de ces personnages.
Indiscutable réussite, Katya est l’album d’un jeune auteur déjà mature dans son dessin et son propos, qui parle du désastre de la guerre pour les civils.
144 pages – 25 €