Trois petits chats...
Le 6 juin 2006
Murakami efface le temps et la raison, dans une fable brillantissime sur le pouvoir de l’esprit.


- Auteur : Haruki Murakami
- Editeur : Belfond

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Murakami efface le temps et la raison, dans une fable brillantissime sur le pouvoir de l’esprit.
Un adolescent fugueur, un hermaphrodite, un vieillard qui parle aux chats, une jeune fille égarée dans un corps de femme... le monde de Murakami est peuplé de ces êtres qui, faute de trouver leur place quelque part, s’inventent une autre dimension où les règles ne sont plus les mêmes, où disparaissent des repères qui ne sont pas faits pour eux.
Des liens se tissent entre ceux que rien ne semble réunir, pulvérisant l’espace et le temps dans une entre-deux où tout devient possible. Murakami s’enfonce dans ces zones d’ombre et cherche au fond de chacun ce qui n’est plus tout à fait humain mais puise, dans les limbes de la raison, une omniscience inouïe et terrifiante, au delà de Dieu et des hommes.
Kafka sur le rivage est une fable, une métaphore, un défi à la raison. C’est aussi un somptueux récit initiatique, un voyage au cœur d’une pensée qui nous est infamilière et qui bouscule notre façon d’être au monde. Il n’y a plus de certitude, les choses peuvent être ou ne pas être, la seule réalité, c’est celle du souvenir, cette pensée des autres qui les maintient vivants au-delà du temps. Le corps est un leurre puisqu’il est incapable de dire la vérité des êtres. Comme Mademoiselle Saeki qui vit, dans son corps de femme, une adolescence éternelle, immobilisée il y a plus de trente ans, ou Nakata, à la mémoire effacée, qui a traversé la vie sans rien y comprendre. Mais les personnages de Murakami ne s’agitent jamais en vain. Ils ne sont pas là pour rien et ils le savent. Sans qu’il soit jamais question de dessein divin, quelque chose les porte, inexplicable, injustifiable, comme une voix intérieure qui les guiderait vers un destin inconnu mais inéluctable. Les personnages de Murakami sont héroïques, au sens médiéval du terme : ils accomplissent des exploits dans un but qui les dépasse. Ils n’en comprennent ni la raison ni la logique, ils savent seulement qu’il en sont l’instrument d’accomplissement.
C’est à travers ces méandres que Kafka sur le rivage prend toute sa dimension de fable. En alternant les époques, les genres et les fils narratifs, l’auteur met en place une trame tentaculaire, une ahurissante parabole sur le pouvoir de l’esprit.
Murakami tire les ficelles et réinvente le monde par ses portes dérobées. Confiance... Il connaît le chemin.
Haruki Murakami, Kafka sur le rivage (Traduit du japonais par Corinne Atlan), Belfond, 2006, 618 pages, 23 €