Le Metteur en scène de mariages
Le 6 décembre 2016
Plus encore qu’un Yórgos Lánthimos, Lapid passe maître dans l’usage de l’absurde et du surréalisme pour ausculter les pathologies de son pays. Rarement avant Journal d’un photographe de mariage le cinéaste n’avait su articuler diatribe politique aussi sensible.


- Acteurs : Ohad Knoller, Naama Preis, Dan Shapira
- Genre : Drame
- Nationalité : Israélien
- Durée : 0h40mn
- Titre original : Myomano shel tzalam hatonot
- Date de sortie : 7 décembre 2016

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Résumé : Y, un photographe de mariages, épouse une mariée, en tue une autre, et rentre chez lui.
Notre avis : Après L’Institutrice et Le Policier, Nadav Lapid poursuit sa dissection des symptômes d’une société israélienne malade, en s’en prenant cette fois à l’institution du mariage. Y, photographe de mariage des plus cynique, porte malgré lui tout le poids des faux-semblants de son pays. Plus que personne, il sait que ce rituel et toute la tradition qui l’entoure ne sont qu’un leurre. "Filmer un mariage ou un enterrement, c’est pareil : dans l’un on enterre des vivants, dans l’autre des morts", souligne-t-il. Fossoyeur d’une société souffrante qui s’ignore, Y doit pourtant bien gagner sa vie. Devenu lui-même insensé à force de se faire le garant des apparences, il déconstruit et désacralise désormais le mariage à force d’avoir avalisé par son silence un monde d’horreurs. À son jeune fils, il raconte que sa plus belle réussite fut une célébration où il ne photographia que sols et plafonds - allégorie selon lui on ne peut plus signifiante du mensonge en acte. Tel le double de Nadav Lapid, Y utilise ainsi en creux son caméscope comme une arme qui mettrait au jour la captivité des individus venus s’unir sur l’autel des traditions. Lorsqu’un couple de mariés demande au personnage à ce que ne figure pas sur le cliché la mosquée à l’arrière plan, le cinéaste démontre combien, même dissimulés hors-champ, les legs ne peuvent être refoulés. Sous couvert d’une modernité qui voudrait reléguer les minarets dans les confins de la mémoire, indique en substance Nadav Lapid, perdure un héritage insidieux remettant en cause les libertés - par delà les symboles trop ostensibles.
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Fardées derrière leurs sourires, les femmes apparaissent ici séquestrées et prisonnières du mariage, dont l’aspect économique absorbe tout autre réalisation. Lapid, tout en donnant quelques éléments de réponse, interroge sa société dans un dispositif hautement théorique, faisant passer Y de photographe à metteur en scène, de témoin à confident et acteur. Il y a dans cette représentation surréaliste d’une société valétudinaire une généalogie assez nette avec le cinéma de Yórgos Lánthimos. À l’exception près que la mise en scène du réalisateur israélien ne bascule jamais dans un formalisme systématique. Préservant une part d’amateurisme, Nadav Lapid laisse les plans digresser et même atteindre une certain degré de poésie - les vagues, le sable, le gros-plan sur la mosquée… En plus de livrer un portrait sensible d’une féminité croulant sous la phallocratie galopante, le cinéaste précise aussi une tendance ou une obsession plus nette quant au spectacle grand-guignolesque qu’est le genre humain. Une fascination qui s’exerçait déjà de manière latente dans L’institutrice, mais qui atteint ici une épure saisissante. La force de Nadav Lapid se situe précisément dans cet équilibre entre radiographie réaliste et fantasmagorie cruelle, aux frontières quelque part de l’essai sociologique sanguinolent qu’est le Society (1988) de Brian Yuzna. Aussi, faut-il voir dans son cinéma intrinsèquement politique un héritage évident des Fassbinder et autres Godard - chose que bien des longs métrages sont aujourd’hui incapables ne serait-ce que d’effleurer.