Le 9 décembre 2020
- Scénariste : Jim
- Dessinateur : Jim
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 18 novembre 2020
Jim a accepté de se prêter au jeu de l’interview à distance en cette période où nous restons tous chez nous pour parler du second tome de la BD Détox, mais pas seulement...
Bonjour Jim.
Nous espérons que vous allez bien. Nous vous remercions de vous prêter au jeu de l’interview à distance.Vous venez de sortir le tome deux de Détox qui conclut ce diptyque sur la tentative d’un homme de faire un point sur sa vie d’une manière assez inattendue au vu de son caractère : partir dans une retraite en pleine nature loin de tout, et surtout du numérique. Vous avez travaillé avec Antonin Gallo pour réaliser cette BD en deux volumes et pour donner vie à Matthias d’Orgemont et son entourage.
Quelque chose nous a frappé, je trouve cette BD riche de contrastes. Par exemple, dans la nature, que l’on s’imagine souvent comme un espace de liberté, Matthias se retrouve bloqué et (presque) volontairement coupé du monde. Coincé dans la nature, il est enfermé dans un espace immense. Ce récit devient un huis-clos à ciel ouvert. Cette idée est une des raisons qui vous a donner envie de vous inspirer de cette histoire vécue par un de vos amis, ou est-ce qu’elle vous est apparue après ?
Jim : Je ne sais même pas si elle est apparue ou si c’était un ressenti enfoui, en réalité. Mais j’aime l’idée de huis-clos, et être à ciel ouvert ne s’oppose pas à cette idée. C’était au contraire intéressant à travailler. Je voulais un voyage immobile, car c’est un combat intérieur. Et en même temps, le défi était de ne pas faire un récit statique… Il faut souvent jouer l’équilibriste, et c’est ce qui crée un jeu entre les différentes tensions que ressent le personnage, je suppose.
Un autre contraste nous a étonné. Matthias évolue au gré des rencontres qu’il fait, mais finalement, il reste sur place. Ce récit nous est apparu un peu comme un road-movie immobile. Au lieu du personnage qui avance et rencontre des gens, là, Matthias est bloqué et les gens le rencontrent. Comment avez-vous géré l’immobilité du personnage ?
Jim : L’astuce était toute simple, Matthias a le dos verrouillé. Hors, quand on le voit dans le milieu de l’entreprise, il est plus mobile, plus à l’aise. Je n’ai pas été chercher bien loin, je ne crois pas être très adapté au milieu naturel. J’ai donc joué aussi avec mon ressenti.
Par contre, comme dans tout road-movie, les personnages secondaires sont importants. Dans ce tome, à la fin, on se souvient de Adèle, de l’écrivain, des écologistes, de l’organisateur du stage, de ces personnages qui gravitent autour de Matthias. Comment travaillez-vous pour créer cet équilibre, pour que chaque personnage dans cet isolement trouve un espace pour respirer et exister dans l’histoire ?
Jim : Je crois qu’il faut qu’ils aient leurs folies, et leurs incohérences, comme nous tous. Ne pas les traiter d’une seule direction, et essayer toujours de voir autre chose d’eux. Il n’y a rien de plus plat qu’un personnage qui n’est qu’un passe-plats et ne réagit qu’en fonction de son rôle dans le récit. Plus il y a de la vie qui entre, plus on se rapproche de la réalité des gens, il me semble…
Dans cette BD, il y a un côté ludique, léger, qui nous a beaucoup rappelé L’érection, des personnages à un tournant de leur vie prenant une curieuse décision qui va entraîner des grands chamboulements, avec un traitement plus léger, mais sans négliger les drames profonds qui se jouent. Deux histoires différentes dans leur sujet et dans leur développement, mais quelque part, deux huis-clos, deux récits drôles et émouvants en même temps, deux personnages aux caractères forts à un tournant de leur vie, deux histoires en deux tomes. L’avez-vous ressenti comme cela aussi ou... pas du tout ?
Jim : J’avoue ne pas y avoir pensé, mais j’aime l’idée que l’ensemble ai une cohérence d’ensemble. On fait toujours avec ses obsessions. D’ailleurs, c’est compliqué ; en ce moment je travaille à un nouveau projet, et je me pose beaucoup la question du renouvellement. Hors, j’ai mes marottes, et l’envie de creuser des sillons déjà creusés. La solution est sans doute d’essayer d’aller plus loin au fur et à mesure…
Au-delà de la rupture avec le numérique, avec la connexion permanente, ce que nous trouvons flagrant dans ce stage, c’est la rupture avec le monde, avec l’humain. La rupture même avec l’autre, car l’isolement et le silence sont de mise. La coupure de connexion ne serait pas seulement une conséquence pour mener à bien cet isolement plus large ?
Jim : Je souhaitais mettre le personnage en face avec lui même. Donc que la coupure soit totale… C’était la meilleure façon de corser la situation de notre Matthias, donc d’avoir des réactions plus marquées, et je l’espère plus intéressantes…
Dans vos récits, il y a toujours cet équilibre : un personnage qui change, évolue mais reste quand même fidèle à lui-même, avec ses défauts et ses qualités. Pour nous, c’est cela qui rend vos histoires si humaines, si touchantes. Il n’y a pas de happy end, parfois une fin heureuse, mais qui projette une ombre quelque part ou une fin malheureuse, mais qui s’éclaire d’un rayon de soleil. Est-ce quelque chose que vous envisagez naturellement dès le début de l’écriture ou bien est-ce que cela s’installe au fur et à mesure du développement de l’histoire ?
Jim : Ce n’est pas prévu. Souvent je me lance sans connaître la fin, je l’écris au fur et à mesure. Mais c’est vrai, je trouve que vous l’exprimez bien. Il y a toujours un petit truc tordu à la fin, une amertume. Pourquoi ? Sans doute que les happy end m’ennuient et que j’adore glisser une petite surprise au final. C’est un jeu avec le lecteur, et une façon de dire qu’on sera toujours en déséquilibre. De là à dire que c’est ma vision de la vie, il n’y a qu’un pas, que je franchis allégrement…
Les personnages autour de Matthias composent autant de petites touches qui ne le font pas forcément évoluer, mais qui lui donnent un court instant un autre regard, un regard sur d’autres mondes, d’autres situations. Cela lui apporte un peu de recul. Comment avez-vous pensé l’évolution de votre personnage au contact des autres dans cet isolement, comment avez-vous construit ces petites touches ?
Jim : Il y a deux sortes de scénarios, certains sont très écrit, et d’autres sont des espaces de liberté. Détox, c’était un espace de liberté, une récréation. J’ai vraiment avancé au ressenti, au fur et à mesure… C’est vertigineux, parfois ça fait peur, mais c’est aussi très stimulant !
Nous avons eu l’impression que le couple était le grand absent de cette histoire, contrairement à beaucoup de vos récits. Matthias se retrouve seul, et finalement, il se cherche lui-même alors que beaucoup de vos personnages cherchent l’amour, une femme ou un homme avec qui partager, se retrouver. Ou alors ils ont sous la main cette personne mais ils ont perdu ce partage et veulent le ranimer. Vous me direz qu’au travers de l’amour, nombre de vos protagonistes se cherchent eux-même aussi. Mais nous avons ressenti cette différence à la lecture de Détox. Matthias doit faire son chemin, seul, vers son passé, vers ses souvenirs. Même si dans ceux-ci ressort l’amour maternel, une autre forme d’amour. Mais le couple n’est pas l’enjeu de ce récit. Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?
Jim : Varier les plaisirs, je suppose (rires). Il y a quelques aspects liés au couple, mais oui, cette histoire là ne traite pas des formes amoureuses. Et c’était tout l’intérêt, travailler sur un sujet différent…
Graphiquement, on retrouve votre travail sur les personnages par leur expressivité, par leurs poses dans les mouvements, par l’énergie qui les parcourt mais quelque chose de nouveau se passe dans cette BD, notamment grâce à la collaboration avec Antonin Gallo. Les décors sont dans un autre style, peints, sans traits de contour. Surtout ces grands espaces. Avec Antonin Gallo, comment vous est venu l’idée de travailler ensemble ? Et comment s’est fait ce choix, cette répartition personnage et décor entre vous deux ?
Jim : Nous avions travaillé ensemble sur un autre projet, sans trouver nos marques. Et puis, je suis dessinateur, et j’aime vraiment travailler l’humanité des personnages, c’est donc naturellement que j’ai gardé les personnages. Mais la richesse du travail d’Antonin rendait plus présent les décors, et donc la nature, si importante dans ce récit !
Le travail graphique que vous avez fourni avec Antonin Gallo est très beau. Le contraste entre les personnages et les décors, surtout dans cette immense nature, ces grands paysages tracés, peints justement par les reflets de lumière ou d’ombre, et de l’autre ces personnages eux aussi éclairés, mais découpés, coupés du décor car dessinés avec des traits de contour. Comme si ils n’appartenaient pas à ce monde, qu’ils n’étaient que de passage dans cette vaste nature. Qu’ils soient volontaires ou pas pour ce stage, ils vont repartir après vers leur vie. C’est ce que ce graphisme fait ressortir selon nous. Était-ce une de vos idées ? Comment êtes-vous arrivé à ces choix graphiques forts ?
Jim : C’est presque un accident. C’est le travail d’Antonin, son type de rendu, avec mon dessin. On a essayé, et une alchimie se produisait. Du coup, on a foncé comme ça. En confiance.
Comment s’est passé l’échange entre Antonin Gallo et vous, le regard que vous portez l’un sur l’autre, sur le travail de chacun, les retours, la construction pas à pas des dessins de ce récit ?
Jim : Très sereinement. Antonin a été un camarade parfait. Et comme chacun avait son rôle défini, tout était plus simple. Ça doit être plus compliqué de dessiner à deux les mêmes choses je suppose…
Votre choix de couleurs s’est porté sur des palettes sépias, ocres, beiges. Dans les souvenirs ou dans le présent. Pourquoi avez-vous fait ce choix de restreindre la palette de couleurs ?
Jim : C’était purement esthétique. Parfois, on ne réfléchit pas, on fait confiance à son œil. Et là, nous étions les premiers séduits par ce résultat. Et cette économie de teinte entre peut être en résonance avec la thématique, le dépouillement ? Qui sait ?
Après Détox, nous avons lu que vous réfléchissez à d’autres projets de BD en collaboration avec Antonin Gallo, ainsi qu’à une collaboration avec Laurent Bonneau. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jim : Avec Antonin, nous réfléchissons. Avec Laurent Bonneau, 150 planches sont déjà faites, et le projet est dingue. Réellement dingue dans sa fabrication. Ni lui ni moi n’avons jamais travaillé comme ça, là on a poussé plus loin l’idée de la mise en danger en adoptant une technique totalement nouvelle, il me semble… Nous en reparlerons !
Avec plaisir ! En parallèle de vos projets BD, vous travaillez actuellement sur votre premier long métrage, pouvez-vous nous en parler ?
Jim : Oui, je suis en plein film, avec là aussi un processus un peu différent. Mais je deviens superstitieux avec l’âge, je préfère ne pas survendre un projet film tant qu’il n’est pas bouclé. Là aussi, on en reparlera avec grand plaisir si vous le souhaitez.
En tant que réalisateur, vous allez vous confronter à la mise en scène. Vous la connaissez car vous la pratiquez en BD. Mais dans une case, si on veut accentuer un effet, une distance, on peut reculer un mur, déplacer un arbre, bouger une montagne. Au cinéma, il y a aussi une part d’adaptation au réel, à l’espace imposé par les décors. Comment vous préparez-vous à gérer cette différence ?
Jim : Et surtout, on ne parle pas avec nos personnages, en BD. On infléchit un sourcil, on travaille le jeu d’acteurs de façon intérieure… Alors que là, tout est discussion, et il faut apprendre à communiquer, à diriger un acteur. Mais c’est comme tout, c’est quelque chose qui se travaille, et en pratiquant, on fait des progrès.
Jim, copyright Emma Terrasson
Oui, décidément, vous avez le nez pour ne jamais oublier l’humain quels que soient vos projets. Merci beaucoup Jim d’avoir pris le temps de répondre à cette flopée de questions et d’avoir accepté cet échange à distance.
Jim : Avec grand plaisir. Merci pour la justesse de vos questions.
Détox est une histoire différente de ce que vous avez fait avant, mais qui garde cette humanité, ce regard sur vos personnages qui fait le liant entre vos histoires, entre votre univers. Espérons que cette crise sanitaire se lèvera bientôt pour que vous puissiez aller à la rencontre de votre public en librairie ou en festival et que vous puissiez récolter les retours de ceux qui vous lisent et vous aiment.
Jim : Oui, j’avoue que ça me manque sacrément… !
Et nous avons hâte de découvrir votre prochain projet, dans les cases ou sur l’écran.
Jim : Merci David pour votre gentillesse. Au plaisir de vous rencontrer un jour prochain. Prenez bien soin de vous.
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