Jusque dans la tombe
Le 11 juin 2020
Qui était vraiment Jeffrey Epstein ? Un sinistre prédateur sexuel, mais encore ? Telle est la question qui reste en suspens à l’issue de ce documentaire effrayant et malsain, mais dont la construction en quatre actes masque la triste impasse de l’enquête.
- Réalisateur : Lisa Bryant
- Nationalité : Américain
- Durée : 4 épisodes de 56 à 58 minutes
- VOD : NETFLIX
- Genre : Document
- Titre original : Jeffrey Epstein: Filthy Rich
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 27 mai 2020
- Plus d'informations : Jeffrey Epstein : Filthy Rich
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Résumé : Ancré dans les témoignages de ses victimes, ce docu-série examine comment le délinquant sexuel Jeffrey Epstein a mis sa fortune et son pouvoir au service de ses crimes.
Critique : Dès les premières minutes, une effroyable évidence nous saisit : Jeffrey Epstein n’avait probablement pas une once d’empathie. Cet « envoûtant » documentaire s’ouvre sur la vidéo d’un interrogatoire. Epstein lève la main et jure qu’il va dire toute la vérité. Mais avant de dire « oui, madame », il affiche un sourire narquois. Il décline son identité et déclare qu’il réside aux îles Vierges. À la question de savoir s’il a d’autres adresses, suit un misérable inventaire : plusieurs résidences au Nouveau-Mexique, Palm Beach, New York et Paris. On lui demande s’il a déjà été jugé pour des crimes. Sa réponse, en bafouillant très légèrement : « sollicitation de prostitution et proxénétisme de mineure ». A-t-il commis ces actes ? Epstein, sourit et répond : « Je plaide le cinquième amendement ». Combien de fois a-t-il sollicité une mineure pour prostitution en Floride ? « Même réponse ». On lui repose la même question en variant les lieux, New York, Paris… : invariablement, « même réponse ». Aux États-Unis, une personne ne peut pas témoigner contre elle. Si elle juge qu’une réponse peut la conduire dans une situation critique, il lui suffit de plaider le cinquième amendement, le joker de la justice américaine. Le cynisme du personnage atteint son paroxysme lorsqu’on lui demande si oui ou non, il a violé trois filles de douze ans : il ressort cet odieux joker. On lui fait remarquer qu’il en abuse, ce à quoi il répond, sur un ton presque navré, que « la Cour Suprême a récemment dit que le cinquième amendement est là pour protéger les innocents. Donc, j’aimerais répondre de la sorte ». Avec un sourire malsain.
Il est important de préciser que la réalisatrice Lisa Bryant et Joe Berlinger ont commencé le tournage de ce documentaire en 2018, un an avant l’arrestation d’Epstein, alors que son cas était connu par la justice depuis des lustres. Palm Beach (Floride), 2005. Une fille de quatorze ans dépose une plainte : après avoir assuré des séances de massages à Epstein dans sa somptueuse villa, elle a subi des attouchements et a dû le regarder se masturber. Lisa Byrant a retrouvé d’autres victimes. À chaque fois des mineures à l’époque des faits, vivant dans les quartiers populaires de Palm Beach. De jeunes filles avec des problèmes familiaux, en échec scolaire, parfois junkies ou déjà victimes d’agressions sexuelles. Des proies idéales pour ce prédateur, qui leur offrait quelques centaines de dollars en échange de « séances » de massage, tout en leur promettant, en bon samaritain, de leur payer des études pour s’en sortir. Elles tombaient sous son emprise, étaient manipulées, « massaient » ses ami-e-s, et étaient aussi payées si elles ramenaient des copines. Odieuse pyramide de Ponzi du proxénétisme.
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Via un récit alternant des témoignages de victimes et leurs avocats, de policiers, et aussi celui d’Alan Dershowitz, avocat d’Epstein, ainsi que de va-et-vient dans le temps et l’espace, la réalisatrice tire progressivement les fils d’une épouvantable pelote. Plus on avance plus on s’enfonce dans l’indicible. On découvre (entre autres) comment sa fortune et son pouvoir, dont on ne mesurera probablement jamais l’étendue, ont permis à ce type d’échapper pendant des années à la justice. Certes, en 2008, les cas de la Floride le rattrapent, mais il plaide coupable et profite d’une autre spécificité du système américain : en plaidant ainsi, on évite un procès avec jury, et la peine se négocie entre avocats et procureur. En l’espèce, dix-huit mois fermes, qui relèveront du séjour hôtelier : libre circulation dans le pénitencier, livraison de repas, puis autorisation de sortie pour « travailler » dans sa villa. Et si le FBI reprend le dossier, c’est pour bien l’enterrer via un procureur fédéral et un accord négocié dans des conditions opaques avec les avocats d’Epstein. Et parmi eux, Alan Dershowitz d’expliquer, très calmement, que ceci est légal, et qu’il faut arrêter de voir des complots et autres machinations. Mais quand on lui demande s’il a couché avec une des victimes de son client, non seulement il nie, hurle à la calomnie, et met au défi cette femme de le « dire sur Netflix », sinon il lui colle un procès. Cut. Virginia Robert Giuffre déclare alors, face caméra, que oui, elle a été abusée par Dershowitz. Ambiance.
Nous en resterons là, car ce que nous avons résumé ici est presque « anecdotique » face à l’horreur des faits relatés, et les méandres boueux de cette affaire où trempent, directement ou indirectement, aussi bien Donald Trump, le prince Andrew, Bill Clinton que de nombreuses célébrités. Si les quatre actes de cette sordide histoire sont tout aussi malsains et passionnants à suivre, l’issue bute sur deux écueils. Le premier, qui aurait pu être plus fouillé et partiellement « résolu », est de savoir comment ce type né à Brooklyn, parti de rien, est devenu à vitesse grand V milliardaire, mécène de fondations, financier de recherches scientifiques, bref, un « vrai » philanthrope. Une chose est certaine, si c’était un détraqué sexuel et pervers manipulateur, il était doué en maths (malgré des diplômes bidon) et avait talent et charisme pour enfumer et escroquer des boss de Wall Street, comme le confessent honteusement quelques-uns. Mais était-ce vraiment l’unique clé ? La réponse ne viendra probablement pas à cause du second écueil. Epstein finit enfin par être arrêté en juillet 2019 et placé en détention à Manhattan. Le matin du 10 août 2019, on le retrouve pendu dans sa cellule avec ses draps : il s’est suicidé. Mais ce n’est pas l’avis de son frère.
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Lors de la perquisition de son somptueux hôtel particulier à New York on trouve des montagnes de photos et fichiers accablants. Une des victimes raconte alors que ce bâtiment était truffé de caméras filmant toutes les pièces, absolument tout ! Epstein avait-il alors des « dossiers » ? Deux jours avant sa mort, il avait pris des « dispositions » qui font qu’à ce jour la suite de l’instruction et de possibles réparations financières pour ses victimes sont dans une infernale impasse juridique. Ainsi, même dans la mort, Epstein semble avoir réussi son ultime coup : baiser tout le monde.
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