Coup de gueule !
Le 22 avril 2014
Agnès Troublé (alias Agnès B.) signe un premier film raté qui ne se montre jamais à la hauteur de ses ambitions.
- Réalisateur : Agnès Troublé
- Acteurs : Sylvie Testud, Jacques Bonnaffé, Lou-Lélia Demerliac
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 2h01mn
- Date de sortie : 23 avril 2014
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On connaissait la Agnès B. des créations de mode et des cosmétiques, moins la Agnès Troublé férue de cinéma qui se cachait derrière le pseudonyme. Troublée, Agnès l’a manifestement été face à un sujet fort qui semble lui tenir à cœur : l’errance d’une petite fille victime des abus sexuels de son père. Mais Je m’appelle Hmmm..., premier long de sa réalisatrice, pâtit d’une réalisation boiteuse et d’un scénario bourré d’incohérences. Un film-essai qui se transforme rapidement en une expérience cinématographique particulièrement déplaisante dans son incapacité à faire coïncider le fond et la forme.
L’argument : Une fiction, la fugue d’une fillette de 11 ans, aînée de 3 enfants, la mère absente, le père prédateur, la grand-mère trop pure pour imaginer ce qui se passe. Classe de nature la fillette disparait… Elle est montée dans un camion ; un road movie merveilleux et tragique en compagnie d’un routier écossais, un voyage initiatique, une rencontre, des rencontres "où l’amour se pose".
Notre avis : On dit souvent du cinéma qu’il est un alliage. Lorsque le scénariste décide de s’emparer d’un sujet, il le modèle de façon à offrir au spectateur un ou plusieurs points de vue. Mais cela n’est pas suffisant. Encore faut-il trouver les bonnes personnes pour incarner les personnages et un réalisateur capable de donner corps et vie au récit. Pour son histoire, Agnès Troublé est partie d’un fait divers -dont nous nous garderons bien de mentionner la teneur- qui correspond à la chute du film et a déroulé le fil à l’envers, imaginant ce qui aurait bien pu se passer avant. En résulte un road movie d’une grande tendresse, belle rencontre entre deux êtres esseulés qui cherchent à se reconstruire ensemble après avoir tous deux subi un violent traumatisme. Le duo de comédiens est impeccable (mention spéciale pour la petite Lou-Lélia Demerliac) et fait montre d’une grande retenue, chose éminemment appréciable qui contrebalance une réalisation brouillonne qui se veut sans doute novatrice mais qui n’arrive jamais à la hauteur de ses ambitions. Pourtant, le début du film, d’une esthétique glacée très années 90 marquée par l’utilisation de cadres serrés semblant enfermer les personnages dans les intérieurs présageait d’un certain retrait de la caméra au profit d’un développement naturel du récit.
- "Je m’appelle Hmmm" / Photo du film
- © A3 Distribution
La scène du viol de la petite fille par le père, clef de voûte du film, est ainsi remarquablement mise en scène, avec intelligence et pudeur, nous donnant presque l’impression qu’elle appartient au hors-champ. Mais dès que la petite fille retrouve le temps de l’innocence en entamant un voyage aux allures féeriques (le camion rouge à l’intérieur kitsch apparaît comme un rêve de gosse) avec son ami et substitut paternel, la réalisatrice ne peut s’empêcher d’utiliser la toile comme un théâtre d’expérimentations diverses.Ainsi, elle privilégie une sorte d’esthétique surannée qui s’avère particulièrement laide, brouille la pellicule avec des scories, fait joujou avec le noir et blanc sans raison apparente, zoome brusquement sans souci de l’effet que provoque le décrochage et utilise la caméra de manière flottante pour donner au spectateur l’impression de ressentir lui aussi les aspérités de la route (l’hommage à The Brown Bunny de Vincent Gallo est évident, la puissance d’évocation en moins). Et n’oublions pas le plus insupportable : un montage cut violent qui vient briser la continuité du récit. S’il se justifie dans un premier temps pour expliquer la désorientation et l’esprit fragmenté de la gamine, son utilisation quasi systématique devient réellement problématique, jusqu’à ce qu’on ressente l’impression saugrenue que la réalisatrice souhaite réellement malmener des personnages si attachants. "Je m’appelle Hmmm..." / Photo de Douglas Gordon Ou est-ce tout simplement pour brouiller notre confort de spectateur omniscient ? Quoiqu’il en soit, pourquoi faire compliqué lorsqu’on peut faire simple, au risque d’insurger ses spectateurs ? Autre problème majeur, du même acabit, le voyage est essaimé de scènes complètement superflues à l’image d’une sorte de rassemblement de marginaux au coin du feu ou d’une chorégraphie de danseurs asiatiques retrouvant sans doute leur moi profond au milieu d’une forêt. Ok donc pour l’aspect rassembleur et le vivre ensemble, mais on ne peut se départir de l’impression qu’Agnès Troublé avait tout simplement envie de jeter quelques délires visuels sur la toile comme on enfile des perles sur un collier. En outre, seuls le routier et la petite fille sont crédibles, et le point de vue des parents sur les événements est risible tant le jeu d’acteur est désincarné et leur réaction devant la fugue de leur fille surréaliste. A vouloir trop jouer « nature » et éviter l’emphase, on finit par ne plus ressentir d’émotion du tout. Et lorsqu’on connaît les qualités de Sylvie Testud, on se dit que le problème ne vient pas forcément des acteurs, ni même de la platitude des dialogues... Même si la réalisatrice a le mérite de ne jamais juger ses personnages et leurs actions (la culpabilité du père se suffit à elle-même) et que le film propose certaines fulgurances, l’étude psychologique laisse fortement à désirer jusque dans le rapport même à l’élément autour duquel tout gravite (le viol), fondement de la perte d’identité de la fillette. En résumé, Je m’appelle Hmmm... ressemble à un film amateur à fort potentiel qui n’a malheureusement pas encore compris là où résidait l’essence même du cinéma. Un grand dommage...
L’avis pour : ICI
- "Je m’appelle Hmmm..." / Affiche officielle
- © A3 Distribution
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