Le 14 mars 2015
Héros ou tyran ? Le film sur le tsar Ivan le Terrible, revu en deux parties par Eisenstein, est un monument du film soviétique.
- Réalisateur : Sergueï M. Eisenstein
- Acteurs : Nikolaï Tcherkassov, Ludmila Tchelikovskaia, Serafima Birman, Ada Voïtsik , Pavel Kadotchnikov
- Genre : Biopic, Historique
- Nationalité : Russe
- Editeur vidéo : Bac Films
- Durée : 1h40mn (1ère partie) et 1h26mn (2e partie)
- Titre original : Ivan Groznyy
- Date de sortie : 6 mars 1946
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– Année de production : 1944
Résumé : Devant l’incapacité des régents, le jeune Ivan décide de se faire couronner. Mais sa tante, qui voudrait voir son fils Vladimir sur le trône, avec la complicité des boyards, fait empoisonner la tsarine. Ivan se retire alors dans un monastère. Le peuple rappelle Ivan.
Critique : C’est pendant la guerre qu’Eisenstein entreprit cette puissante fresque, qui devait initialement comporter trois époques. Le second volet (Le complot des boyards) subit les foudres de la censure soviétique et ne devait être montré qu’en 1958. Et la mort du cinéaste, en 1948, entraîna l’abandon du projet de tournage de la troisième partie. En dépit de ces aléas, Ivan le Terrible n’est pas une œuvre tronquée et l’histoire du cinéma lui a donné une réelle unité. Le film est ce que l’on ne nommait pas à l’époque un biopic. La vie d’Ivan IV de Russie (1530-1584) est ici évoquée en plusieurs tableaux, du couronnement controversé du premier tsar de la Russie à sa victoire définitive contre la conspiration des boyards (aristocrates revendiquant le pouvoir). Celui qui fut d’abord le prince de Moscou annexa, quelques temps après sa prise de pouvoir, les khanats de Kazan et d’Astrakhan, avant d’entreprendre la guerre de Livonie. Il créa ensuite un territoire pour ses fidèles et instaura un régime de terreur. Eisenstein a choisi de se centrer sur des événements et personnages emblématiques : le sacre d’Ivan (Nikolai Cherkasov), les intrigues de sa tante, Efrossinya Staritskaya, prête à tout pour porter son fils Vladimir sur le trône, les trahisons politiques et sentimentales du prince Kourbsky, l’assassinat de la tsarine Anastasia Romanov, la formation d’un corps de miliciens semant la terreur... Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, Les autorités soviétiques souhaitaient que le film exalte la nation, la figure historique d’Ivan étant ici utilisée pour glorifier Staline, seul garant de la cohésion du pays face à la subversion interne et aux agressions de l’ennemi (en l’occurrence l’Allemagne, explicitement citée dans le film). Il va sans dire que la première partie ne pouvait que flatter le Petit père des peuples, Ivan étant ici peint dans toute sa noblesse de sentiment, ne durcissant ses positions que dans l’intérêt général... Le second volet, qui insiste sur les ravages du culte de la personnalité, donne une image plus contrastée d’Ivan (et donc du dictateur soviétique), et c’est cette dimension qui déplut en haut lieu. Certains ont mis en exergue (surtout depuis la séparation ostentatoire des deux volets) la propagande manifeste de la première partie, ses raccourcis historiques et sa grandiloquence formelle. Pour ce qui est des deux premières critiques, c’est oublier qu’Eisenstein n’avait précisément pas le choix.
La troisième remarque n’est guère plus fondée, la splendeur de la photo (Andrei Moskvin et Eduard Tisse) et des décors (d’Eisenstein lui-même) ayant précisément pour fonction de mettre en lumière l’exubérance du tsar et sa mégalomanie, comme Welles le fit avec Citizen Kane. Il est d’ailleurs savoureux de noter que ce sont les mêmes critiques qui avaient été formulées par le pouvoir communiste pour la seconde époque et il y a soixante-dix ans... Ce qui fait toujours la force d’Ivan le Terrible, c’est la puissance d’une mise en scène à la fois cohérente et surprenante (dans les deux parties). Entièrement tourné en studio, le film limite les prises de vue extérieures et le montage expérimental du Cuirassé Potemkine, ce qui n’en fait pas pour autant une œuvre statique et académique. Opéra filmique grandiose, magnifié par la musique de Prokofiev, Ivan le Terrible utilise les jeux d’ombre ou les gros plans découpant les visages avec une subtilité rarement atteinte au cinéma. Et la beauté stupéfiante des séquences en couleur (la dernière demi-heure) suscite une jubilation esthétique qui n’a d’égale que celle ressentie à la vision des scènes de cirque dans Lola Montès. On regrettera juste l’emphase de certains interprètes dont l’Artiste du peuple Serafima Birman, donnant certes une dimension expressionniste, mais auxquels on préférera le jeu plus nuancé de Cherkasov ou Pavel Kadochnikov, étonnant en jeune prétendant au trône simple d’esprit et illuminé.
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