Rendez-vous avec la mort
Le 29 octobre 2012
Plus qu’un documentaire, un conte terrifiant, radical et politique avec en toile de fond la peine capitale aux USA. Werner Herzog épate.


- Réalisateur : Werner Herzog
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Canadien, Allemand
- Durée : 1h45mn
- Date de sortie : 24 octobre 2012

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Plus qu’un documentaire, un conte terrifiant, radical et politique avec en toile de fond la peine capitale aux USA. Werner Herzog épate.
L’argument : Le 24 octobre 2001, dans la petite ville de Conroe au Texas, Jason Burkett et Michael Perry, en quête d’une voiture à voler, abattent de sang-froid Sandra Stotler, son fils Adam et l’ami de ce dernier, Jeremy. Retrouvés puis arrêtés, les deux jeunes hommes, âgés d’à peine 19 ans, sont condamnés : Burkett à la prison à perpétuité, Perry à la peine capitale.
Le 1er juillet 2010 le cinéaste Werner Herzog interviewe Michael Perry, huit jours avant son exécution.
Suite à cette rencontre, il retourne sur les lieux du crime, interroge les enquêteurs, consulte les archives de la police, discute avec les familles des victimes et des criminels, rencontre un ancien bourreau du couloir de la mort. Non pour juger mais pour essayer de comprendre.
Au-delà du fait divers, Herzog nous entraîne dans une enquête sur l’Amérique et les profondeurs de l’âme humaine.
Notre avis : Rarement un titre aura été si approprié, tant Into the abyss se donne, dès ses premières minutes, comme un trou sans fond, vers lequel Werner Herzog aspire son spectateur sans lui laisser la possibilité de retrouver un peu d’air. En choisissant une affaire – malheureusement à la fois exemplaire et banal –, le cinéaste examine, trie, interroge, avec patience et rigueur. Nous revient en mémoire le vague souvenir de In cold blood de Truman Capote, cette manière de peindre un univers clos et étouffant à travers le prisme du crime, en se positionnant des deux côtés de l’axe de la justice (les victimes et les criminels) ; une peinture qui ne peut que confiner à l’absurde, à partir du moment où commencent à apparaître les contours d’un grand dispositif judiciaire tournant sur lui-même.
Le choc provoqué par Into the abyss tient à l’équilibre précaire que le film réussit à maintenir entre l’analyse d’une part, l’émotion d’autre part. Jamais pathétiques, les entretiens laissent pourtant exploser les souffrances et le sentiment de vide qui envahissent l’ensemble des hommes et des femmes impliqués par le drame. Il faut pouvoir supporter le témoignage du père d’un des criminels (et lui-même incarcéré) « avouer » son impuissance et ses regrets, sans que cette confession tombe dans le voyeurisme. Pas un instant, malgré les pleurs des familles des victimes, malgré l’horreur du crime, la position de Werner Herzog contre la peine de mort ne flanche, et le réalisateur parvient à mener à bien une enquête exhaustive tout en maintenant un angle moral fort.
« Un conte de mort, un conte de vie », précise le sous-titre de Into the abyss ; et assurément, la forme documentaire adoptée par Herzog revêt des caractères quasi-fictionnels, dramatiques, à la manière d’un grand roman du Sud des Etats-Unis aux accents bibliques et poétiques – il y a quelque chose de pourri au royaume du Texas. Les anecdotes récoltées par le cinéaste, parfois annexes à l’affaire elle-même, mais participant de la fresque de violence dans laquelle elle s’inscrit, semblent relever parfois d’un registre absurde, à tel point que le film oscille entre drame pur et conte surréaliste – se rapprochant par un étrange hasard des personnages qui hantent les fictions d’Herzog. L’accès aux différentes sources – archives vidéo de la police, tournage de séquences dans le couloir de la mort, interviews d’anciens employés de prison, etc. –, incorporé de manière homogène et presque ‘discrète’ dans le film, contribue à cette propriété d’Into the abyss de se laisser « dévorer » par son spectateur comme un roman ou, selon le mot d’Herzog, comme un « conte ». A un détail près ; ce conte-là se donne à lire comme réellement terrifiant, radical et politique. Et la trace qu’il laisse sur le spectateur est, elle, indélébile.
L’affiche française :
L’affiche américaine :