Le 30 juin 2021
- Acteur : Sylvie Nordheim
Interview de Sylvie Nordheim, comédienne, romancière, et intervenante en milieu carcéral, personnalité centrale du documentaire Le grand jour : De la prison à l’Odéon et conseillère sur le film de fiction Un triomphe, qui sort le 1er septembre 2021.
Présentation : Sylvie Nordheim est depuis 2010 animatrice d’un atelier de théâtre dans le milieu carcéral. De 2014 à 2019, elle a pu conclure un accord pour faire jouer des détenus à l’Odéon-Théâtre de l’Europe de Paris, des œuvres originales coécrites et dirigées par elle-même. Cette expérience a donné lieu à un documentaire de Guy Bauché Le grand jour : De la prison à l’Odéon, réalisé en 2020 et diffusé sur la chaîne LCP.
Cette démarche originale a aussi alimenté en partie le film de fiction Un triomphe d’Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, qui sortira le 1er septembre prochain.
Touche-à-tout de la culture, après une adolescence mouvementée, elle est d’abord passée par le cinéma, qui ne lui a pas laissé un grand souvenir, avant de se tourner vers le théâtre où elle a pu travailler avec Gérard Desarthe, Patrice Chéreau ou encore l’auteur roumain Virgil Tănase. Des rencontres qui l’ont emmenée des théâtres parisiens à une tournée en Roumanie, puis au festival d’Avignon.
Elle a ensuite participé à Voisin, voisine, l’un des premiers sitcoms produit par La Cinq.
Après une parenthèse familiale, elle passe son CAPES de français en 2000, pour devenir professeure de lycée jusqu’en 2010.
Parallèlement elle se met à l’écriture pour des sketches, des romans ou encore des biographies et même une bande dessinée, activités qu’elle poursuit aujourd’hui parallèlement à son investissement dans le milieu carcéral.
Interview de Sylvie Nordheim le 18 juin 2021 :
aVoir-aLire :Comment êtes-vous devenue comédienne ?
Sylvie Nordheim : En préambule, je tiens à préciser que si, en quelque sorte, on reste comédienne toute sa vie, je ne le suis plus aujourd’hui, en tous cas, juste très indirectement par mon travail auprès des détenus, qui se concentre surtout sur l’écriture et la mise en scène.
Dans mon adolescence compliquée, bien qu’issue d’un milieu privilégié, j’ai été amenée à prendre des cours de théâtre au lycée. Ensuite, électron libre, sans passer par aucune école d’art dramatique, j’ai fait du théâtre et du café-théâtre.
aVoir-aLire : Pouvez-vous nous parler de votre expérience au cinéma ?
Sylvie Nordheim : Mon travail sur les planches m’a permis de faire de la figuration au cinéma. Et c’est ainsi que j’ai eu quelques rôles plus importants, mais qui ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable (*). Cette incursion ne m’a rien apporté sur le plan artistique.
aVoir-aLire : Et l’expérience du théâtre ?
Sylvie Nordheim : C’est là que j’ai pu me révéler, en pouvant interpréter de beaux rôles avec de grands textes, et faire plusieurs rencontres majeures pour moi, notamment avec le comédien Gérard Desarthe et le romancier, dramaturge et metteur en scène roumain Virgil Tănase (sauvé de la dictature roumaine par François Mitterrand). C’est avec lui que j’ai participé à la création d’une compagnie de théâtre, qui nous a conduits jusqu’à une tournée en Roumanie en 1989, après la chute du mur de Berlin, avec la pièce Catastrophe de Samuel Beckett. Ce fut un moment fort de ma carrière de comédienne de pouvoir jouer dans un pays qui se libérait de la dictature, avec un public extrêmement friand de culture et qui remplissait les théâtres tous les soirs, jusqu’au dernier siège -voire plus !- et pouvait suivre une œuvre interprétée en français. Cette tournée, à laquelle participait aussi Patrice Chéreau, qui était organisée sous l’égide du ministère de la Culture, était produite par le théâtre de l’Odéon. Et en 1992, j’ai interprété au deux monologues, l’un d’Eugene O’Neill et l’autre de Tennessee Williams, qui ont été notamment présentés au festival d’Avignon.
aVoir-aLire : Il y a eu aussi une importante participation à une série télévisée ?
Sylvie Nordheim : Oui, la sitcom Voisin, voisine pour lequel j’ai travaillé de 1988 à 1992, a été à la fois mon plus gros succès public et aussi ma plus grande déception professionnelle. C’étaient les débuts de la télévision privée façon Berlusconi, qui avait demandé aux concepteurs de s’inspirer des soap operas déjà bien développés et très en vogue au Brésil, à l’époque. On connaît bien la formule désormais : un lieu unique, des rires en boîte, des scénarios indigents qui se démultiplient à l’infini... De plus, pour les comédiens, des conditions de tournage relevant de l’abattage, allant jusqu’à nous imposer parfois trois heures "utiles" réalisées en une seule journée (**).
aVoir-aLire : Est-ce cette difficile expérience qui vous à fait changer de voie ?
Sylvie Nordheim : C’est certainement vrai indirectement, mais je ne m’en rends compte qu’aujourd’hui. Cette série m’a rendue célèbre, mais pas toujours positivement. J’ai été jusqu’à me faire insulter dans la rue. J’ai décidé, rapidement après, de faire une longue pause pour me consacrer ma vie de famille, je me suis mariée et je suis devenue maman. A l’issue de cette parenthèse, j’ai décidé de reprendre des études, de passer mon CAPES de français pour devenir professeure de collège et lycée. Il se trouve que je l’ai passé le jour même du décès de mon mari. De plus, mon fils était atteint d’une maladie orpheline très contraignante (il est sorti d’affaires aujourd’hui). Il fallait donc que je retravaille.
aVoir-aLire : Vous êtes donc devenue enseignante ?
Sylvie Nordheim : Oui, bien sûr ! J’ai exercé pendant une dizaine d’années pour l’Éducation nationale. J’y ai pris beaucoup de plaisir. Parallèlement, j’ai commencé écrire des romans. Ce qui m’a surtout intéressée avec les élèves, c’était de monter des pièces ou des sketches, beaucoup plus que le programme par lui-même, et puis à un moment, je ne m’y suis pas retrouvée et j’ai donné ma démission, comme ça, du jour au lendemain.
aVoir-aLire : C’est là qu’intervient votre incursion dans le milieu carcéral ?
Sylvie Nordheim : Après avoir quitté l’Éducation nationale, j’ai réfléchi à mon avenir. Ce que j’écrivais marchait bien, mais pas suffisamment pour vivre. Dans ce domaine, j’ai oublié de vous dire que j’avais aussi créé des sketches pour Chantal Ladesou notamment, quand elle participait à l’émission "La classe".
Ma jeunesse mouvementée, qui m’avait fait passer par la prison, pour de petites choses, mais tout de même, le théâtre et l’écriture, m’ont donné l’idée de proposer un projet d’atelier-théâtre au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Mon idée novatrice, je pense, était de monter une œuvre originale coécrite avec les détenus, avec l’objectif de donner une représentation unique au théâtre de l’Odéon. Il m’a fallu me battre pour imposer ce concept ambitieux et risqué. J’ai bien fait, car j’ai pu aller jusqu’au bout. Je vous invite à voir le documentaire "Le grand jour" (voir plus haut), qui montre bien la réussite de cette démarche et ce qu’elle apporte à la réinsertion. Plutôt que de monter une œuvre classique, très loin des préoccupations des détenus, et totalement en dehors de leurs codes, il me semblait plus enrichissant pour eux, comme pour moi, de créer un texte, tout à la fois drôle, émouvant, mais néanmoins porteur d’une vraie réflexion. Pour vous éclairer sur mon ambition, je cherchais, toutes proportions gardées, à me rapprocher de l’univers du film Rendez-vous d’Ernst Lubitsch, avec James Stewart, qui représente pour moi, le summum de la comédie.
aVoir-aLire : Vous avez aussi participé à la préparation du film Un triomphe d’Emmanuel Courcol (***).
Sylvie Nordheim : Le réalisateur, que j’ai rencontré plusieurs fois, m’a longuement interrogée sur mon expérience. On retrouve d’ailleurs un bon nombre des éléments que j’ai pu lui apporter à la vision du film. Je tiens à dire que je suis un peu déçue de ne pas avoir été citée au générique, ni d’avoir été invitée à la moindre avant-première. Tant pis, je me console en me disant que ce long métrage rend tout de même hommage à mon travail.
aVoir-aLire : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Sylvie Nordheim : Je vais continuer ma collaboration avec le milieu carcéral, mais sous une autre forme. En effet, la pandémie est passée par là et la situation actuelle, plus sécuritaire, n’autorise plus les détenus à sortir pour un motif culturel.
Je rédige aussi la biographie d’un homme incarcéré pour avoir tué sa femme. C’est un travail difficile et fastidieux. J’échange beaucoup avec lui par téléphone et par courrier, et j’espère bien mener ce projet jusqu’au bout, ce dont je ne suis pas totalement persuadée au moment où je vous parle.
Je suis aussi en pourparlers avec une chaîne de télévision, mais en l’état actuel des choses, je préfère ne pas en dire plus.
* Sylvie Nordheim a tourné notamment dans Aldo et Junior de Patrick Schulmann, avec Aldo Maccione (1984) et dans Parking, de Jacques Demy, avec Francis Huster (1985).
** Par comparaison, un film de durée normale (1 h 30 à 2 h 00), se tourne en moyenne sur trois mois.
*** Un triomphe, qui sort le 1er septembre prochain, met en scène un comédien au chômage (Kad Merad), à qui l’on propose de reprendre un atelier-théâtre à la prison de Fresnes. Dubitatif au début, il va finir par se prendre au jeu, et réussir à monter avec les détenus une pièce de Beckett, En attendant Godot. Celle-ci donnera lieu à une tournée en province, et aura pour point d’orgue une représentation à l’Odéon-Théâtre de Paris.
.
Merci à Rémy Bellon d’avoir rendu possible cet échange.
Droit de réponse du réalisateur Emmanuel Courcol :
"Sylvie Nordheim voit avec raison dans mon film un hommage à tous ceux qui apportent la culture et la pratique artistique en prison mais il me paraît nécessaire de dissiper certaines approximations. J’ai en effet rencontré Sylvie Nordheim une fois, comme une dizaine d’autres intervenants en milieu carcéral, alors que j’étais en écriture de mon scénario avec Thierry de Carbonnières. J’ai pu également assister à l’Odéon à une lecture publique par quelques détenus et comédiens d’une pièce dont elle était l’autrice. Sa contribution au film se résume à cet unique entretien et cette restitution d’atelier dont l’ambition artistique était par ailleurs très éloignée de l’histoire de Jan Jönson dont le film est inspiré. Quant aux éléments qu’elle pense avoir retrouvés dans le film, ils sont communs à tous ces ateliers de théâtre en milieu carcéral. Ceci est à mettre en rapport, entre autres, avec ma collaboration avec Olivier Foubert, comédien intervenant à Fleury-Merogis, que j’ai rencontré de nombreuses fois et qui m’a invité à venir y animer un atelier vidéo, et surtout Irène Muscari, coordinatrice culturelle au Centre pénitentiaire de Meaux (où j’ai tourné Un triomphe) dont j’ai découvert le travail à l’occasion de "Iliade" une ambitieuse fresque théâtrale en dix épisodes au Théâtre Paris-Villette en 2017. Irène Muscari m’a ensuite permis l’année suivante d’accompagner au sein de la détention pendant huit mois la création d’un opéra hip hop qu’elle avait initiée, mis en scène par le chorégraphe Hervé Sika avec neuf détenus depuis la première réunion préparatoire jusqu’à la représentation finale à la MC93 de Bobigny. Cette expérience exceptionnelle (dont le documentaire est en cours de montage) a été pour le coup une contribution majeure à l’écriture et au tournage de mon film. Quand on se targue d’avoir participé à la "préparation" d’un film, il faut savoir de quoi on parle.
Sylvie Nordheim, contre qui par ailleurs je n’ai rien, me pardonnera d’avoir omis de citer par courtoisie son nom au générique dans les remerciements et j’en suis désolé, mais il est vrai que parmi des dizaines de contributeurs j’ai pensé naturellement à ceux dont l’apport au film avait été plus tangible, ce dont je suis le seul juge."
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.