Le 5 avril 2013
- Réalisateur : Ben Drew
Quand le phénomène hip hop britannique, numéro 1 des charts outre-Manche, livre son premier film en tant que réalisateur, le brûlot est radical... Interview de la star de She Said...
Quand le phénomène hip hop britannique, numéro 1 des charts outre-Manche, livre son premier film en tant que réalisateur, le brûlot est radical... Interview de la star de She Said...
En France, dans les années 90, Kassovitz fit grande impression avec La Haine, altérant à jamais la conception des Français des cités urbaines. Au Royaume Uni, le chanteur Plan B qui a été numéro 1 avec son deuxième album, The Defamation of Strickland Banks (dont est issu le tube planétaire She said, s’est attaché, également, à dévoiler le côté sombre de la société britannique via son premier long métrage en tant que réalisateur : Ill Manors. Véritable électro-choc qui emprisonne les spectateurs au cœur des ghettos les plus violents de la banlieue londonienne, le film est une expérience visuelle, narrative et musicale, flirtant avec le pur génie et la gratuité d’un voyeurisme enragé. Un premier film en guise de thérapie pour un gars du « block », qui a gravi les échelons mais dont les traumas de quartier sont restés vifs à son esprit.
A l’occasion de la sortie d’Ill Manors, aVoir-aLire a rencontré Plan B, aka Ben Drew de son vrai nom, pour une interview où le bad boy fait montre de bonnes manières et d’authentiques bonnes intentions…
Avoir-alire : Avec autant de succès comme artiste chanteur-compositeur, pourquoi vous mettre en danger en passant au cinéma ?
J’ai toujours voulu devenir réalisateur et transformer mon histoire en images. Quand j’étais môme, j’étais frustré de ne pas pouvoir exprimer mes idées visuellement. Je n’avais pas d’expérience, mais j’avais des tonnes d’histoires à raconter. Mon grand-père était aveugle et écoutait beaucoup de livre audio, avec des effets sonores et de la musique. Il y avait toute cette importance de la voix pour narrer les histoires. Ça m’a influencé dans ma façon de voir le cinéma et de composer mes propres chansons.
Je voulais faire un film pour les aveugles, tout un concept inédit, mais je ne savais pas comment faire. Alors, à la place, j’ai écrit un premier album sombre, controversé, qui était en fait une compilation de courts métrages. Je l’ai conçu comme plusieurs histoires de cinéma.
Pour le second album, The Defamation of Strickland Banks, je n’avais pas d’autres histoires à raconter que celles autour de la célébrité, le versant négatif… Au lieu d’utiliser le hip hop, j’ai préféré en faire un album soul.
Un film aussi radical, cela a été facile à monter ?
J’ai écrit Ill Manors en même temps que le second album et j’étais vraiment prêt à tourner. Mais j’étais avant la sortie du disque un artiste underground et subversif, personne ne voulait se risquer à le produire, jusqu’au moment où j’étais numéro 1 et où tout à basculer.
C’était avant ou après les émeutes qui ont dévasté les centres villes d’Angleterre, notamment Londres.
Le film est né bien avant, en 2008, mais les émeutes ont beaucoup influencé les vidéo-clips que j’ai tournés pour promouvoir la BO, cela a influencé le marketing. J’ai réutilisé certaines images vues lors des émeutes pour rappeler aux Britanniques cette histoire récente. Avec les Jeux Olympiques, le gouvernement a vite enterré l’histoire et les gens ont oublié ! J’ai voulu raviver les émotions, emmerder un peu l’ordre établi pour rappeler à la conscience générale que tout cela était encore d’actualité, que la misère et le crime étaient toujours prospères dans les quartiers !
Tu délivres un vrai message politique dans le film… t’en prenant même directement à David Cameron.
Pour moi, tous les politiciens racontent des conneries. Quand ils étaient au pouvoir le parti travailliste était beaucoup trop mou, quant aux conservateurs, ils sont trop durs et sont dans la punition excessive…
En France, certains pensent que le système politique britannique est un modèle pour l’Europe, mais quand on voit ton film, on ne le pense pas ! T’en penses quoi de ce système ultra libéral ?
Encore une fois, je ne suis ni conservateur, ni travailliste, il faudrait un bon équilibre entre les deux, chaque parti étant capable de dire ou de faire des choses sensées. Ce que je vois, c’est qu’on gaspille de l’argent, on le place aux mauvais endroits. Les Travaillistes avaient au moins estimés l’art et la culture. Pour les Conservateurs, il y avait une volonté de faire bouger l’école. Dans mon cas, j’ai été placé dans une école pour enfants à problème. On nous a fait plein de promesses d’investissements pour développer nos talents et on n’a eu que dalle ! Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui pour les mêmes qui sont en difficulté ? On n’investit plus dans l’art, la culture, ni même dans l’école, or, on a besoin de raccrocher les jeunes de moins de 21 ans à la société. On est face à une génération qui se sent détachée de la société dans laquelle ils vivent. On a besoin d’argent pour les raccrocher au système. Après 21 ans, cela sera trop tard !
Il y a d’ailleurs de plus en plus de films britanniques qui mettent en scène ce mal être chez les ados, de plus en plus de films de genre qui sont tournés dans les « blocks »…
Ma génération pense qu’on la représente mal, notamment à travers la presse à scandales qui diabolise cette jeunesse ! Mon film sert aussi à ça, renvoyer une image vraie d’une certaine jeunesse en crise, en manque de représentation positive.
Pour faire ce film, tu sembles davantage avoir été influencé par le cinéma social britannique que par la vision académique du rap aux USA, notamment dans 8 Mile avec Eminem ou Get rich or Die Young avec 50 Cent…
J’ai été très influencé par Fish tank d’Andrea Arnold et par This is England de Sean Meadow. En Europe aussi, je me suis inspiré de Pusher, La haine de Kassovitz…
Peut-on dire que le scénario est autobiographique ?
Le fait que toutes les histoires se produisent en même temps dans le film, toutes ses intrigues secondaires qui finissent par se regrouper en une seule et même histoire, ça c’est de la fiction. Mais je me suis évidemment basé sur mon vécu dans le quartier, aussi sur ce que je voyais autour, sur ce que j’ai pu lire…
Extrait 1 :
C’est une vision très négative où finalement peu d’éléments positifs surviennent…
C’est ma vision des choses. Quand j’ai écrit Ill Manors, j’étais en colère, ça a été comme une thérapie pour moi. J’ai voulu raconter ce que j’avais en tête, mon propre point de vue, mes témoignages, avec cette naïveté propre au premier film. C’était moins le point de vue des autres qui m’intéressait. Môme, j’étais la seule personne sur qui je pouvais compter, la seule chose en quoi je croyais c’était ma musique, et je n’avais pas de doute à ce sujet, alors qu’autour de moi les gens étaient torturés, drogués, jetés en prison, ils perdaient le contrôle. A la fin du film, j’ai essayé de positiver un peu, notamment avec le personnage de Michelle qui semble s’en sortir. A l’issue du premier script, elle finissait raide morte. Peut-on imaginer qu’elle puisse vraiment s’en sortir après un tel vécu ? Finalement, la fin de mon film emprunte un peu au conte de fées, mais on en est loin !
La narration rappée participe au sentiment d’agressivité générale qui ressort du film…
J’ai toujours voulu que la narration soit relatée par une voix off comme sur une chanson hip hop. Mais attention, ici, contrairement à certains artistes hip hop qui rendent glamour la dope ou les gangs, comme 50 Cent, il n’est pas question de perdre la réalité. J’ai choisi une musique radicale et dure, car telle est la réalité de ces quartiers.
Extrait 2 :
Comment as-tu choisi le casting des jeunes comédiens ?
Ils sont pour la plupart du quartier. Y a plein de talents là-bas, mais il n’y a personne pour leur dire qu’ils sont doués. J’ai changé la vie de certains d’entre eux et ça c’est génial.
Moi-même, je suis moins en colère, je suis devenu plus optimiste, ce film a été comme une thérapie…
Extrait 3 :
Tu as un message pour la jeunesse française ?
Si des jeunes voient mon film en France, j’aimerais qu’ils saisissent les conséquences de leurs décisions s’ils choisissent de suivre la mauvaise route, s’ils trouvent cela cool de se droguer ou de prendre les gangsters comme des modèles. Qu’ils regardent mon film et ils verront que ce n’est pas aussi glamour que cela.
Je veux qu’ils soient effrayés en découvrant le film. Tu veux être dans un gang à 13 ans, alors apprête-toi à tuer… Ils vont t’inciter à le faire, se servir de toi… Voilà ce qui va t’arriver.
La critique du film : ICI
Propos recueillis à Paris, le 25 mars 2013
Remerciements à Anaïs Monnet et Michel Michel Burstein
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.