Le 6 octobre 2023
- Plus d'informations : Le site du Festival
Riche actualité qu’est celle d’Erwan Le Duc : en attendant la sortie de La Fille de son père (en salles le 20 décembre), il défend actuellement la série Sous contrôle, dont il a réalisé tous les épisodes. L’écriture (et ses difficultés), la mise en scène (et ses potentialités), la collaboration avec les acteurs et actrices : il nous dit tout, ou pas loin.
Vous avez un parcours atypique car vous avez été journaliste avant de faire d’être cinéaste. Comment s’est fait ce cheminement ?
Erwan Le Duc : Il s’est fait lentement, mais j’ai toujours voulu faire du cinéma, sans réellement me dire que c’était possible. À la vingtaine, je faisais des petits films avec des copains, puis je suis passé à autre chose. J’ai fait d’autres études, puis j’ai commencé à travailler en tant que journaliste puis dans plusieurs ministères. Et puis, dix ans après, j’avais encore envie de faire des films…
Ça ne vous était pas passé ?
Erwan Le Duc : Non, donc j’ai commencé à écrire un scénario. Au début, j’écrivais pour quelqu’un d’autre, puis après j’écrivais pour moi-même. Je me suis dit que je ferai un court-métrage, puis que je verrai ce qu’il se passerait. J’avais gardé des amis avec qui je faisais mes petits films plus jeunes, qui avaient eux continué et fait des études de cinéma. J’avais gardé des contacts, donc j’ai trouvé quelqu’un pour produire mon premier court-métrage. C’était une expérience intéressante mais assez douloureuse… Je n’avais pas d’école, donc je n’y connaissais rien ! J’ai appris sur le tas en faisant plein d’erreurs. Je travaillais avec des techniciens qui me regardaient avec des grands yeux, car je demandais des trucs de façon très affirmative, comme si je savais précisément ce que je voulais, alors que j’étais perdu (rires). C’était formateur, et ça m’a surtout donné l’envie d’en faire un autre, puis un autre, et finalement j’ai fait quatre courts-métrages – sur mon temps de vacances, puisque je travaillais toujours comme journaliste à côté – et j’ai eu envie de plus.
De sauter le pas avec un long-métrage ?
Erwan Le Duc : Oui, même si ça a été long aussi. J’ai commencé à écrire le long après mon premier court-métrage, et ça m’a pris quatre ou cinq ans… J’écrivais quand j’avais le temps, c’est-à-dire pas si souvent. Ce qui a pris du temps, c’est que ce film (qui est devenu Perdrix), n’était pas facile à financer, car il était assez singulier. Pour un premier film, ce n’était pas évident.
C’est quand les interprètes du film, notamment Swann Arlaud, se sont engagés que les portes se sont ouvertes ?
Erwan Le Duc : Un peu, oui. Cela dit, quand Swann Arlaud arrive sur le film, il n’a pas encore son César pour Petit Paysan, celui-ci est sorti juste après. On a eu de la chance, on a profité de sa notoriété grandissante. Pareil pour Nicolas Maury et Fanny Ardant, qu’on ne présente plus. Forcément, ça a aidé. Ce qui a beaucoup joué, c’est aussi l’opiniâtreté des producteurs, de travailler et retravailler les scénarios, de s’acharner. Tout d’un coup, ça s’est aligné : on a pu compter sur un partenaire, puis un deuxième, puis un troisième. On a pu compter sur un petit budget et vraiment lancer le film, et ensuite tout s’est merveilleusement passé.
À sa sortie, Perdrix a connu un beau succès public et critique. Vous avez pu capitaliser là-dessus pour votre deuxième film ?
Erwan Le Duc : Oui et non. Perdrix, effectivement, a été vu et reconnu à sa sortie, a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes. Ça, c’était assez incroyable… Et il a fait environ 150 000 entrées, c’était une très bonne surprise. Ça nous donnait un bon petit crédit, bien qu’on n’ait pas eu plus d’argent pour faire La Fille de son père. Le succès de Perdrix n’a pas tout chamboulé ! La différence, c’est que, quand je cherchais à monter Perdrix, je sentais une certaine réticence, les gens ne savaient pas trop à quoi s’attendre, ils voyaient que ça sortait un peu du cadre… Je devais passer beaucoup de temps à expliquer mes intentions, le ton du film. Il y avait un doute permanent. Pour La Fille de son père, je pouvais montrer Perdrix pour annoncer mes intentions, je n’avais pas à me justifier en permanence.
Et sur le plan créatif, ce film-là a été plus difficile à accoucher ?
Erwan Le Duc : J’ai passé beaucoup moins de temps à l’écrire que Perdrix, sur l’écriture duquel j’avais passé beaucoup de temps, presque trop. Pourtant, quand j’ai commencé à l’écrire, j’ai été pris d’une sorte de vertige. Je me suis dit : « Mais comment on fait ? Je sais pas du tout comment on écrit un scénario… » Ça m’a paru insurmontable et j’ai même relu le scénario de Perdrix pour me dire : « Ah oui, c’est comme ça qu’on fait… » pour me remettre à l’ouvrage. À ce moment-là, j’ai lu une interview de Jacques Audiard qui m’a beaucoup rassuré : il racontait lui-même ne plus savoir écrire à chaque nouveau projet et devoir repartir de zéro. Je me suis dit que, si ça marchait pour Audiard, ça marchait pour moi, je me sentais moins seul (rires).
Vous dites que c’est la relation entre le personnage de Juju (Nicolas Maury) et sa fille (Patience Munchenbach) dans Perdrix qui vous a inspiré La Fille de son père.
Erwan Le Duc : Oui, c’était ça le point de départ, je voulais explorer une relation père-fille comme celle-ci, avec une adolescente. Je voulais creuser ce lien-là, le pousser à l’extrême, les faire cohabiter pendant une longue période, jusqu’au moment où ils doivent chacun vivre leurs vies séparément.
On retrouve la question de la filiation, avec ces familles à géométrie variable.
Erwan Le Duc : Cela fait partie de ces choses qui m’échappent un peu. Je commence à écrire, et je me rends compte plus tard que c’est exactement la même chose ! Ce n’est pas tout à fait volontaire, et j’essaie de m’en défaire, mais ça revient… Il y a plein de passerelles, comme la maison un peu marrante, le parent manquant, l’amour fusionnel et inconditionnel.
À la distribution, outre Maud Wyler, déjà présente dans Perdrix, vous faites tourner de « nouveaux » visages comme Nahuel Perez Biscayart et Céleste Brunnquell, et même tout nouveaux comme Mohammed Louridi. Comment s’est déroulée cette phase de casting ?
Erwan Le Duc : D’une façon assez classique, puisque je n’avais pas forcément d’interprètes en tête. Je n’avais écrit pour personne en particulier. On a d’abord cherché un acteur pour le personnage d’Étienne, est assez vite est apparu le nom de Nahuel. J’aimais beaucoup l’idée car, au-delà de son talent, il a apporté une incarnation assez inattendue pour ce personnage, non seulement de père, mais aussi d’entraîneur de foot. J’aimais bien imaginer Nahuel flottant dans des survêtements et s’occupant de sa fille de dix-sept ans.
Vous aviez découvert Céleste Brunnquell dans la série En thérapie ?
Erwan Le Duc : Quand le processus de casting a débuté, je n’avais pas vu la série, que j’ai rattrapée un peu après. Je l’ai regardée spécialement pour Céleste. Pour La Fille de son père, elle s’est imposée assez rapidement. Concernant les autres interprètes, avec Maud, on se connaît très bien ; on a déjà travaillé ensemble et le rôle a été écrit pour elle. Mohammed Louridi, comme Mercedes Dassy – qui est danseuse et chorégraphe – n’était jamais apparu à l’écran.
J’avais la chance de travailler avec des producteurs qui me laissaient libre de mes choix. Je n’avais pas pour obligation de caster des célébrités en têtes d’affiche. Cella rejoint ce que je disais avant : on avait peu d’argent pour le faire, mais je conservais cette liberté concernant la distribution. Ça me permettait d’aller chercher des acteurs et actrices que l’on ne connaissait pas forcément, que l’on ne voit pas trop ailleurs. De les découvrir, car cela fait partie de mon plaisir de réalisateur aussi. Pour Mohammed Louridi, qui joue Youssef, c’était une évidence quand je l’ai vu au milieu de cent autres jeunes.
Le hasard du calendrier fait que la diffusion de la série Sous contrôle, dont vous avez réalisé tous les épisodes, vient de débuter. Vous dites que c’est la première fois que vous tournez un texte qui n’est pas le vôtre.
Erwan Le Duc : Effectivement, la série a été écrite par Charly Delwart, qui cherchait un réalisateur. Lui et ses producteurs avaient vu Perdrix et on s’est donc rencontrés. On s’est bien entendu, on avait le même humour, les mêmes envies, les mêmes références pour le projet ; ça collait bien. D’emblée, Charly a été très clair : le texte était le sien, il n’était pas trop question que j’y touche – ce que je respectais. J’ai proposé des choses, il les prenait ou pas. Très vite, on a travaillé en binôme, sur le casting, par exemple.
Pour vous, cela changeait quoi en termes de mise en scène ?
Erwan Le Duc : Le rythme d’une série est très différent : il y a une effervescence permanente, et le scénario y est un cadre beaucoup plus fort que dans un film. Chaque scène doit être utile, elle doit faire avancer un récit qui nous amène à la fin d’un épisode, puis le début d’un autre… Il s’agit de briques à mettre les unes sur les autres, on ne peut pas les changer de place. Dans un film, on peut s’approprier le récit au fur et à mesure du tournage. La matière est plus malléable, y compris en termes de montage.
Cela vous permettait d’expérimenter une mise en scène plus « sur le vif » et moins éthérée que dans vos longs-métrages ?
Erwan Le Duc : Tout à fait, et c’est aussi cela qui était très chouette. Dans Sous contrôle, le personnage principal, joué par Léa Drucker, a une énergie débordante. Tout est un peu déséquilibré dans ce qu’elle fait, et j’avais envie d’une mise en scène à cette image. C’était un grand écart par rapport à ce que j’avais fait dans Perdrix, dans lequel il y avait des plans très composés, très fixes. Des scènes qui s’étiraient et prenaient leur temps. Là, il fallait être dans la rupture, aller vite. Les dialogues fusent. Je voulais aussi heurter un peu l’œil ; dans la manière de filmer, c’est beaucoup plus instable, à l’épaule, parfois trop près des comédiens, assez contre-intuitif. C’est intéressant parce qu’on bouscule même ses propres goûts. J’ai tourné des plans que je n’aurais jamais cru faire il y a trois ou quatre ans, que j’aurais pris pour une faute de goût. Mais là, le sujet s’y prêtait et je voulais aussi prendre des risques.
Quand vous tournez, vous avez des influences précises en tête ou c’est quelque chose dont vous essayez de vous délester ?
Erwan Le Duc : J’ai quelques influences qui me servent de boussoles, je trouve ça utile, mais elles peuvent varier d’un projet à l’autre. Pour Sous contrôle, on avait en tête avec Charly des exemples de comédies politiques très nettes comme Armando Iannucci et Veep… Pour l’image et la mise en scène, je pensais à Robert Altman dans John McCabe ou à The Knick de Soderbergh, une série assez dingue. Soderbergh est très étonnant car chaque projet est différent avec lui. Il est très libre : il installe un truc, puis il le casse. Il n’a pas peur d’aller chercher des choses un peu moches, il cherche tout le temps. C’est assez passionnant, il est toujours sur la brèche. Dans The Knick, il cassait la grammaire cinématographique, il mettait sa caméra dans un angle pour filmer un conseil d’administration au XIXe siècle, comme si c’était une caméra de surveillance. Ça m’a beaucoup inspiré et rassuré, cette idée de réveiller l’œil et d’aller chercher des idées en permanence.
Il y a des interprètes pour lesquels vous rêvez d’écrire ?
Erwan Le Duc : Question piège ! Il y a beaucoup d’acteurs et d’actrices que j’adore et que j’admire mais je pense que ça dépend avant tout du projet. Tout bêtement, les premiers auxquels je pense quand j’écris, ce sont ceux avec lesquels je viens de travailler. Par exemple, Céleste [Brunnquell, ndlr], je sais que j’ai envie de retravailler avec elle, Mohammed Louridi aussi. Pareil pour Swann Arlaud. Il y a des gens avec qui j’ai travaillé que j’ai envie de revoir. Je commence souvent par ceux-là, et d’autres viennent ensuite.
Vous aimez faire jouer aux interprètes des rôles à contre-emploi, comme vous le souligniez à propos de Nahuel Perez Biscayart dans La Fille de son père…
Oui, j’ai souvent cette envie de « déplacer » les acteurs, de leur ouvrir d’autres espaces. Et je crois que c’est ce qui les touche aussi : il faudrait lui demander mais, peut-être que quand Nahuel reçoit le scénario, l’idée de jouer ce rôle-là le titille… Bien sûr, certains acteurs pourront se dire « Pas du tout, je ne me vois pas là-dedans ! » Pour les autres, ça crée une friction, une petite étincelle, qui peut être un peu flippant, puisqu’on se dit « Est-ce qu’on va y croire ? »
Car eux-mêmes se confrontent à l’image que le public finit par avoir d’eux.
Erwan Le Duc : Voilà, et puis cela demande aussi un travail différent. Pour Nahuel, ce que j’ignorais, c’est qu’il est peut-être le seul Argentin qui n’y connaît absolument rien en foot ! (rires) Çà ne l’intéresse pas du tout, donc je me suis retrouvé à lui donner des cours de football. J’avais un régisseur général qui était un peu entraîneur donc j’ai envoyé Nahuel dans son club pour qu’il apprenne à jouer et connaisse un peu le vocabulaire.
Quels sont vos projets, au cinéma ou à la télévision ?
Erwan Le Duc : Je termine le montage d’une mini-série, à nouveau pour Arte, adaptée d’un livre de Fabrice Humbert, Le Monde n’existe pas. C’est l’histoire d’un homme joué par Niels Schneider qui perd pied dans le réel et se perd dans la fiction. C’est une série en quatre épisodes de quarante minutes, avec une intrigue bouclée. Après ça, je repartirai dans l’écriture d’un nouveau film, pour lequel je n’ai pas encore de sujet. Si vous avez une idée, je suis preneur !
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.