Le 3 juillet 2016
Une pièce savoureuse et cruelle, portée par des comédiens impeccables et un rythme effréné.
- Réalisateur : Anthony Asquith
- Acteurs : Michael Redgrave, Joan Greenwood, Margaret Rutherford
- Genre : Comédie
- Nationalité : Britannique
- Durée : 1h35mn
- Titre original : The importance of being earnest
- Date de sortie : 31 décembre 1952
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Résumé : Les difficiles projets de mariages de deux célibataires fortunés et désinvoltes.
- affiche du film
Asquith tire le meilleur de ce feu d’artifice verbal étourdissant.
Notre avis : En adaptant la pièce la plus célèbre d’Oscar Wilde, Asquith n’a pas tenté de cacher les origines théâtrales de son film : des spectateurs, un rideau au début et à la fin, les intentions sont claires. Peut-être même plus encore : la dame qui darde ses jumelles sur la scène nous introduit dans l’intrigue, et elle regarde un homme qui prend son bain ; non seulement spectateurs, mais aussi voyeurs et, par l’entremise des jumelles, entomologistes de la société anglaise victorienne. Tout, nous verrons tout, telle est la promesse de Il importe d’être constant.
Évidemment, ce pacte initial vise à dévoiler les dessous peu reluisants d’une noblesse chez qui le langage, brillant, est le paravent d’un alliage inextricable : entre conventions, désirs charnels et financiers, les personnages se débattent dans une nasse fétide, que cachent des toilettes et une apparence soignée. De vêtements, il est question, non seulement dans le dialogue, mais aussi à l’image : les costumes définissent les êtres (leur distinction, leur rang social) et Asquith s’amuse de détails qui nous paraissent aujourd’hui saugrenus. C’est tout un monde disparu qui s’ébroue devant nous, gouverné par des codes et des modes : ainsi même les repas sont-ils rigidifiés (le cake s’efface au profit de la tartine, par exemple). Rigide est d’ailleurs le mot qui conviendrait à tous, tant on a l’impression de voir des marionnettes sans âme, aussi insincères que stéréotypées.
Wilde, sous des dialogues brillants remplis d’aphorismes et de remarques cyniques, règle ses comptes avec une société corsetée : il reprend un schéma mélodramatique (un enfant abandonné), des situations amoureuses sans originalité (deux couples qui s’uniront malgré des obstacles et quiproquos) et les fait passer au tamis implacable du langage. Par les expressions figées ou excessives, souvent ridicules, il montre à quel point quand celui-ci est aliéné, c’est la personne même qui l’est. Faute d’intelligence, les personnages agissent mécaniquement, distillant des mots codifiés et artificiels. Au fond, la pièce pourrait s’appeler « De quoi l’amour est le nom » ; Jack et Algernon sont des êtres de désir contraints de parler amour et mariage, séduits par la beauté des deux femmes qui, elles, sont soucieuses de l’avenir et tombent amoureuse d’un prénom gage de fidélité. Quant à la mère et tante, la redoutable Lady Bracknell, momifiée et hilarante, elle ne pense qu’en termes d’argent. Sont-ils capables d’amour ? Si la fin réunit les couples, la caricature est telle qu’on ne croit pas un instant à ces amoureux figés aux postures conventionnelles. C’est que la bienséance, même si elle craquelle sans cesse, empêche le sentiment et le transforme en marchandage sordide.
On rit beaucoup en voyant le film, tant le génie éblouissant de Wilde fait de la moindre réplique un bon mot, une pique satirique ou un jeu gracieux. L’ironie domine, donnant lieu à des constats savoureux (« Heureusement, le système éducatif anglais ne donne aucun résultat »). Mais sous cette bulle langagière perce une critique acerbe et somme toute très noire. Asquith en respecte le texte à la lettre, mais en exagère les effets, notamment par l’utilisation de la musique qui les souligne ; de même le montage sert-il à rendre les personnages encore plus mécaniques par des systèmes de répétitions. Mais c’est surtout par ses acteurs qu’il dynamise la pièce. C’est un festival, entre les mines de Michael Redgrave et la voix forte de Edith Evans, vieille dame horrible, caricature rigide et, bien sûr, très drôle. Asquith n’a pas cherché à amoindrir la mécanique du texte ; au contraire il la met en tension, l’affiche, la célèbre. Et s’il emporte le morceau, c’est parce qu’il a compris que, au-delà d’acteurs brillants, de répliques ciselées, la comédie est avant tout affaire de rythme. Autant dire qu’on ne s’ennuie pas, on savoure : l’impeccable diction de comédiens rompus à l’exercice fait de ce film un feu d’artifice verbal permanent, sans creux ni baisse de régime. Un régal.
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