Votez Muller !
Le 20 mars 2012
Un mois avant le premier tour des présidentielles, Michel Muller propose sa vision – forcément grinçante – de la politique-spectacle. La satire, sans être très neuve, fait mouche grâce à la cruauté coutumière de son auteur-réalisateur.
- Réalisateur : Michel Muller
- Acteurs : Olivier Gourmet, Robinson Stévenin, Aurore Broutin, Michel Muller
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 21 mars 2012
L'a vu
Veut le voir
Un mois avant le premier tour des présidentielles, Michel Muller propose sa vision – forcément grinçante – de la politique-spectacle. La satire, sans être très neuve, fait mouche grâce à la cruauté coutumière de son auteur-réalisateur.
L’argument : Une agence de communication, décidée à utiliser la politique comme tremplin à sa renommée, jette son dévolu sur Pierre Hénaut, élu de province intègre et dévoué, et candidat improbable à la Présidentielle. Façonner l’image du candidat, voilà le job de Thierry Giovanni, patron de l’agence, et de ses collaborateurs : Noémie, Fred et Olivier. Ils sont persuadés de pouvoir métamorphoser Pierre Hénaut en bête politique et médiatique. Car après tout, ils savent vendre n’importe quoi, alors pourquoi pas lui ? Et pour le faire monter dans les sondages, ils n’hésiteront pas à utiliser les méthodes les plus douteuses…
Notre avis : Après une année 2011 déjà riche en fictions politiques, 2012 confirme la tendance : rarement le cinéma français ne s’est autant intéressé à nos dirigeants et à la mécanique du pouvoir. Question de période, bien entendu, à l’heure où le (premier ?) quinquennat de Nicolas Sarkozy touche à sa fin. Les spécialistes en tireront les conclusions qu’ils voudront : importance accrue des médias audiovisuels dans la production du discours politique ? victoire progressive de la communication sur les idées ? habileté nouvelle de nos représentants à se ’’mettre en scène’’ ? De manière plus modeste, on peut constater que ce traitement prend des formes très diverses sur grand écran : minimalisme ludique et théâtral (Pater) contre grosse reconstitution historique (L’Ordre et la Morale), farce d’opérette à la Michel Audiard (La Conquête) contre uchronie bizarre et ultra-sérieuse (L’Exercice de l’Etat)... Les films politiques actuels n’ont pas été faits dans un seul moule. Quelle vision présentent-ils du pouvoir ? Plutôt lucide, celle-ci navigue entre dénonciation, constats désenchantés et déconstructions joueuses de sa grande machinerie.
S’il fallait situer Hénaut président sur cet échiquier, il serait une sorte de fils bâtard de La Conquête (ton ouvertement comique, description de l’ascension irrésistible d’un outsider) et d’un Pater soft, moins expérimental, avec jeux de masques et mise en scène titillant le réel. Adaptation d’une série de soixante-dix épisodes courts, diffusée sur Paris Première pendant la campagne présidentielle de 2007, Hénaut président adopte la mode filmique du ’’faux reportage’’ et multiplie les clins d’œil à notre réalité politico-médiatique. Éva Joly, notamment, y est copieusement citée et les journalistes y jouent les guest stars dans leur propre rôle : Bourdin, Pujadas, Claire Chazal... Les frontières entre vérité et fiction, Muller les a déjà expérimentées dans ses sketchs (dont certains, très trash, pour Canal +) ou dans sa précédente réalisation, La vie de Michel Muller est plus belle que la votre. Ici, l’artifice tient parfois du défilé people mais répond surtout à une volonté de réalisme qui renforce le propos. De fait, malgré les énormités du scénario, le parcours du candidat Hénaut, piètre élu de province catapulté ’’troisième homme’’ du pays en quelques mois, s’avère parfaitement convaincant.
Festival de situations cruellement drôles et de vannes drôlement crues, le film de Muller s’offre comme une satire plutôt conventionnelle du monde politique, cet éternel miroir aux alouettes, montré ici comme une pure construction médiatique (voire publicitaire) visant à manipuler les masses et les individus. Le discours n’est pas très nouveau, bien sûr, mais qu’importe : Hénaut président ne se revendique pas comme un pamphlet et ne délivrera aucun ’’message’’. Attaché à la description d’un microcosme plus provincial que parisianiste, il assume ses partis-pris à l’ancienne et se place davantage dans la lignée de la comédie italienne, avec ses personnages affreux, sales et pourris. Bien qu’il fasse des allusions (plutôt bien vues) à nos travers contemporains, à notre amour du buzz à tout crin ou de l’info-spectacle, Hénaut président aurait pu être tourné à n’importe quelle période (trente ou quarante ans en arrière, pourquoi pas) sans qu’on ne remarque la différence.
Qu’on ne s’y trompe pas, cette intemporalité n’est pas pour autant une faiblesse. Le léger fossé entre le film et son époque est même figuré par son duo principal : d’un côté, un candidat Hénaut incarné (très au premier degré) par Muller lui-même, brave gars pataud complètement dépassé par la mentalité de son temps, par le système qu’il s’apprête à intégrer ; de l’autre, Thierry Giovanni, publicitaire plein de ressources qui maîtrise parfaitement les ressorts de la com’, sa soif de sensationnel, de symboles (le fameux grand-père pompier) ou d’émotion (l’entreprise de jouets délocalisée, coup bien tordu du scénario). Après L’Exercice de l’Etat, le belge Olivier Gourmet confirme son intérêt pour la politique française et sa capacité à tout jouer, à se couler dans n’importe quel rôle (hier ministre intègre, aujourd’hui marchand de soupes véreux) avec une dégaine de Monsieur Tout-le-Monde et un charisme magnétique. Gourmet, tout en énergie fauve et carnassière, s’éclate visiblement et enchaîne les saillies les plus cyniques, dont le film fait son sel.
Pour faire le liant entre ses divers sketchs disparates (et jubilatoires), le scénario se met dans les pattes un personnage ’’fil rouge’’, observateur extérieur du jeu de massacre : Alexandre, neveu de Giovanni, sorte de Candide confronté à la corruption mais qui conservera sa pureté et son intégrité. Si sa présence (plutôt attachante) n’alourdit pas le film, ce dernier n’avait pas vraiment besoin non plus d’une telle tarte à la crème, d’autant plus rebattue que c’est Robinson Stévenin qui tient le rôle (après des compositions exactement similaires dans Mon colonel ou le téléfilm L’École du Pouvoir). Par son statut de spectateur critique, assez analogue au notre, le long-métrage prend parfois des airs de fable dont la portée moralisatrice menace, plus d’une fois, d’engloutir tout le reste. Mais alors qu’elle semblait prendre le dessus, alors que la morale paraissait presque sauve, Muller s’en sort dans une pirouette finale où le cynisme a le dernier mot. Loin de l’opposition assez primaire entre ruraux au cœur pur et citadins pourris, elle rappelle que la séduction du pouvoir touche tout le monde, quelles que soient ses origines ou ses convictions.
Sans se prendre pour ce qu’il n’est pas, Hénaut président permettra juste aux électeurs, fatigués de la mascarade politique, de faire un petit break entre deux meetings télévisés et trois flashs info. Pause d’autant plus réjouissante que le rire, s’il est jaune, demeure très fréquent et donne l’occasion de se moquer de son voisin - sport hexagonal s’il en est. Car tout le monde en prend pour son grade : le plouc comme le parigot, l’ouvrier comme le publicitaire, les minorités comme les puissants, les démunis comme les nouveaux riches. Une certaine idée de l’égalité selon Muller, en somme.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.