Gaston en Normandie – Benoît Vidal – la chronique BD

Critique : Après Pauline à Paris, Benoît Vidal revient au roman-photo avec Gaston en Normandie en interrogeant une nouvelle fois la mémoire familiale. La grand-mère de l’auteur Joséphine constitue le lien entre les deux ouvrages : affable et prompte à raconter sa vie bien remplie, Joséphine s’est pendant plusieurs années laissé enregistré par son petit-fils, qui en tire la matière première de ses histoires. Mais Benoît Vidal s’interroge : pourquoi éprouve-t-il lui-même le besoin de récolter ce récit familial ? Ne serait-ce pas pour combler un manque ? L’auteur revient sur sa propre relation avec son père Gaston, avec lequel il a partagé peu de souvenirs dans son enfance. Dès lors, il se décide à interroger son père afin de retisser un lien avec lui. Gaston avait 7 ans au moment du débarquement, mais il a des souvenirs très clair de cet épisode et se remémore sa vision d’enfant.

Gaston en Normandie alterne ainsi entre les souvenirs de Joséphine et de Gaston, que Benoît Vidal confronte aux sources historiques avec la rigueur de l’historien, pour proposer un récit passionnant à hauteur d’hommes. Si l’histoire héroïque du débarquement est bien connue du grand public, rares sont les témoignages des populations civiles, qui ont pourtant atrocement souffert. Le D-Day s’accompagne en effet de bombardements d’une extrême violence qui coûtent la vie à des milliers de personnes, sans compter les familles déplacées. Mais pour la population, l’arrivée des Alliés est avant tout le synonyme d’une libération, qui ne va pas sans règlements de comptes, notamment pour les femmes qui ont eu des relations intimes avec les Allemands.

Gaston en Normandie constitue l’une des initiatives de « l’année du roman-photo » des éditions FLBLB, qui souhaitent montrer la vivacité d’une forme d’expression que l’on pensait tombée en désuétude. Et loin d’être poussiéreux, le roman-photo de Benoît Vidal séduit par son dynamisme et la diversité des images choisies. Les planches alternent entre photographies d’archives de l’époque, photographies des membres de la famille, extraits de journaux et clichés des témoins qui prennent la parole en face de l’auteur. La mise en scène s’accompagne d’un vrai travail réflexif de la part de Benoît Vidal, qui partage au lecteur ses interrogations : comment photographier son père ? Quelles images insérer avec son récit ? En confiant ses doutes, l’auteur met à nu le processus créatif propre au roman-photo, offrant des clés de lecture bienvenues.

Avec Gaston en Normandie, Benoît Vidal réalise un très beau livre sur la mémoire et la transmission qui, en donnant la parole aux civils normands de 1944, offre un nouveau regard sur un événement pourtant bien connu. Un livre indispensable pour les amateurs d’histoire.