Le 5 décembre 2014
Pour qui ne connaît pas Bahman Mohassess, ce documentaire est une initiation importante, un portrait brut et poignant, un témoignage nécessaire.
- Réalisateur : Mitra Farahani
- Acteur : Bahman Mohassess
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Américain, Français, Iranien
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 2 octobre 2013
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– Sortie DVD : le 18 novembre 2014
Où l’on parle d’art, de cigarettes, de révolte, de la vie et de la mort.
L’argument : Fifi hurle de joie témoigne des deux derniers mois de la vie de Bahman Mohassess, légende de l’art moderne iranien. Ce curieux Diogène contemporain, après un exil volontaire d’une trentaine d’années, s’apprête à réaliser son œuvre ultime. Celle-ci lui est commandée par deux admirateurs, artistes eux-mêmes, venus d’Iran. L’intrigue se dirige progressivement vers l’histoire de ce « chef d’œuvre inconnu ».
Notre avis : Derrière ce titre énigmatique se cache le nom d’un tableau, celui que l’artiste iranien Bahman Mohassess a toujours gardé avec lui, exception dans une œuvre qui a pour la plupart disparu, volée, détruite, mutilée, censurée. Le mot qu’il emploie pour qualifier ces disparitions est : « mort ». Ne subsistent pour l’essentiel de sa production qu’un catalogue, des photos et un documentaire proposé en bonus. Pour autant, le documentaire n’est pas une déploration ; on pourrait parler d’un requiem joyeux, effronté. Cet oxymore rejoint toute l’ironie de Mohassess, peintre sans œuvre, âpre à la négociation, mourant plein de vie. À travers le long entretien qu’il accorde à la réalisatrice, se dessine le portrait d’un vieil homme indigne, goguenard. Face à la destruction d’un monde (du monde ?) dont il ne cesse de témoigner, il râle, vitupère, mais surtout, perpétuellement, il rit, de ce rire de fumeur qui évoque un grincement. On le suit dans un quotidien qui alterne la poésie et l’envie d’uriner, le besoin de fumer et les interdictions médicales. Ce que nous donne à voir le film, c’est un être complexe, loin de l’artiste éthéré, pour lequel « l’immortalité, tout ça c’est des conneries ». Le regard qu’il pose sur notre monde est sans illusion : « à quoi ça sert, l’an 2000 ? ».
La féroce beauté des œuvres que l’on voit s’inscrit comme un commentaire sur l’absurdité et la violence. De ce point de vue, il est tout naturel de détruire des tableaux qui disent le néant, le sens absent. La révolte et le dégoût sont les moteurs d’une production éminemment politique, que Mohassess gratifie de quelques phrases lapidaires. C’est toute une vision du monde qui se fait jour, misanthropique et désabusée. On s’étonnera sans doute de l’entendre regretter un temps où l’homosexualité était interdite, mais, outre que cela rappelle d’autres gays qui, tel Dominique Fernandez, louent la clandestinité, ses propos correspondent bien à son caractère bravache et irréductible.
On sent à la lecture du film que la réalisatrice s’est trouvée devant un dilemme : comment mettre en images la vie de cet homme qu’on ne verra pas peindre et qui parle sans cesse ? Disons-le, pour l’essentiel, la mise en scène est inexistante et privilégie le visage, les gestes de Mohassess, dans une tentative de conserver une trace aussi proche du réel que possible. Pas de fioritures donc, malgré quelques « aérations » inutiles et des plans proches de la nature morte. De même on peut ne pas goûter le symbolisme assez lourd de ce rideau qui s’ouvre et se ferme à la fin. Mais elle inscrit ce portrait dans un ensemble culturel qui approfondit, enrichit le projet d’échos variés et l’inscrit dans une sorte de filiation. Le Requiem s’impose, bien sûr, mais son utilisation, par bribes, témoigne de la lutte contre la mort. Plus originaux, les rapports à la littérature (Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac) et au cinéma (Le Guépard de Visconti) témoignent des liens qu’entretiennent les grands artistes. La réplique de Burt Lancaster sur les lions et les chacals, particulièrement bien choisie, rend compte du sentiment de la disparition d’un monde. Comme le dit Mohassess, « notre époque est révolue ».
Si pendant presque tout le film, on rit et on admire, les dernières minutes sont un modèle de retenue pudique : la mort de l’artiste, hors-champ, n’existe que par le son et n’en est que plus poignante. Mais c’est lui qui aura le dernier mot, lui qui place le mot fin sur des images de mer. Nous reste à l’oreille cette voix éraillée et surtout, ce rire permanent, un rire de défi et de révolte. Mohassess rejoint la belle idée de Philippe Murray selon laquelle, face au déclin du monde, il n’y a plus qu’à rire.
Les suppléments :
Outre la bande-annonce, le DVD propose un reportage de la télévision iranienne de 1967 réalisé par Ahmad Faroughi. Dix-sept minutes pour suivre Mohassess dans sa gloire, à une époque de relative liberté. L’entendre s’exprimer, le regarder vivre à une autre époque, nous ravit. Mais la qualité déplorable de l’image et du son gâche ce plaisir.
L’image :
Au vu des moyens, on ne peut s’attendre à une qualité hollywoodienne. De fait, l’image est assez médiocre, platement télévisuelle. Rien de rédhibitoire néanmoins, et l’importance du témoignage vaut bien de passer sur ce petit désagrément.
Le son :
Même chose que pour l’image : les conditions minimales d’enregistrement aboutissent à un son sans profondeur, par moments confus. Mais c’est le prix d’un documentaire brut, sans retouches.
Galerie Photos
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