Il était une fois un amateur nommé Kubrick
Le 8 juin 2014
Le premier film de Kubrick est désormais visible par tous malgré le soin apporté par le réalisateur et ses descendants pour en bloquer la diffusion. Le film est certes raté mais il contient déjà en germe l’œuvre à venir.
- Réalisateur : Stanley Kubrick
- Acteurs : Frank Silvera, Virginia Leith, Paul Mazursky, Kenneth Harp, Steve Coit
- Genre : Drame, Film de guerre, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Films sans Frontières
- Durée : 1h01mn
- Reprise: 27 décembre 2023
- Date de sortie : 14 novembre 2012
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– Année de production : 1952
Résumé : Dans une guerre abstraite en terre inconnue, une patrouille militaire de quatre hommes, le lieutenant Corby, le sergent Mac et deux soldats, Fletcher et Sidney, se retrouvent derrière les lignes ennemies après que leur avion se soit écrasé. Ils avancent dans la forêt, surprennent deux militaires ennemis et les massacrent. Puis ils rencontrent une jeune fille et, craignant qu’elle ne les dénonce, l’attachent à un arbre. Pendant que ses trois camarades vont vers la rivière construire un radeau qui, espèrent-ils, les ramènera chez eux, Sidney garde la jeune femme. Il se révèle alors avoir l’esprit dérangé, autant à cause des violences de la guerre que de son désir naissant envers la prisonnière…
Critique : Après des débuts dans la photographie et deux courts métrages, Stanley Kubrick se décidait à franchir le pas du long métrage. Le film fut réalisé avec de faibles moyens. Sorti en 1953, il ne fut pas trop mal accueilli par la critique, mais Kubrick peu satisfait du résultat fit tout pour empêcher sa diffusion et s’arrangea pour détruire les copies. Heureusement pour l’Histoire, certaines d’entre elles échappèrent à la destruction et il y a peu le film a été réédité en DVD. On peut donc désormais voir à quoi ressemblait cette première œuvre. Ce n’est pas sans espoir qu’on aborde ce genre d’objet. On se dit que plus d’un réalisateur a renié un chef-d’œuvre. Et quand on a affaire à celui qui peut éventuellement être considéré comme le plus grand génie de l’histoire du septième art, forcément, on se met à saliver devant la perspective de découvrir un trésor perdu. Hélas, dès les premières minutes du film, on se rend compte qu’il n’y aura pas d’heureuse surprise. On a beaucoup de mal à s’intéresser aux péripéties des quatre soldats perdus derrière les lignes ennemies. Le scénario n’est pas très intéressant et on ne s’attache pas du tout aux personnages. Le film ne dure qu’une heure mais on a hâte que ça s’arrête. Du coup, le côté fauché de l’entreprise ressort vraiment.
- © 2023 Les Films sans Frontières. Tous droits réservés.
Kubrick jugea qu’il s’agissait d’une œuvre d’amateur et voulut la faire disparaître. On peut lui donner raison sur le jugement mais il aurait toutefois été dommage de détruire ce film. Bien que le résultat soit raté, il est tout de même intéressant car on y voit en germe tout ce qui fera l’œuvre à venir. La thématique kubrickienne est déjà là. Kubrick a développé dans ses films une idée pessimiste de l’Homme enchaîné à des pulsions fondamentales. Derrière le vernis policé de la civilisation, il y a une violence à laquelle on ne peut pas échapper, violence qui en est en outre le fondement. Dans 2001 l’odyssée de l’espace, un singe lance un outil qui lui a servi d’arme, et cet outil se transforme en vaisseau spatial : dans un raccourci saisissant, la civilisation se construit sur un meurtre. Cette image résume à elle seule la pensée de Kubrick. Sur chacun de ses films, il s’est évertué à faire voler en éclats tous les beaux discours de façade sur l’humanisme. L’Homme n’est pas un être libre et bon par essence, capable de s’élever au-dessus de ses instincts animaux. Ses instincts sont au contraire toujours là et guident chacun de ses actes.
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La peur et le désir : ce premier film est en quelque sorte programmatique. Et effectivement nos quatre soldats ont déjà tout des personnages kubrickiens. Le lieutenant semble le plus évolué mais lorsqu’une jeune fille est faite prisonnière, ses propos paraissent suspects. Un des soldats devient fou en citant Shakespeare. Le sergent se sacrifie dans un fantasme héroïque alors que son action n’est qu’un trait supplémentaire d’une guerre absurde et atroce. Voilà pour le fond. On peut faire le même constat pour la forme : on y trouve déjà des touches kubrickiennes. Le film est cérébral, encore plus abstrait que ceux à venir. On n’est jamais touché par un personnage de Kubrick et c’est ici plus vrai que jamais. Cette approche est logique et va de pair avec le fond. Si l’Homme est enchaîné à ses pulsions, il ne peut qu’être dépeint de façon froide et distanciée, comme une machine. Par ailleurs, on peut déjà remarquer l’aisance technique du réalisateur dans certaines scènes. Par exemple la façon dont il filme les combats au corps à corps et les cadavres est très intéressante et renvoie à son expérience de photographe. Ces scènes sont hyper découpées et chaque plan pourrait constituer un cliché remarquable. La façon dont elles sont montées crée un effet glaçant qui rompt avec l’insignifiance de la trame principale. Et puis il y a tout de même quelques sorties de route assez surréalistes. On assiste ainsi à un monologue d’un général allemand qui s’adresse à son doberman ayant un grade de lieutenant. C’est filmé sérieusement mais on sent poindre la folie des personnages de Docteur Folamour. Ces saillies brillantes font de Fear and Desire un étrange objet cinématographique à défaut d’un grand film. Mais c’est finalement surtout une pièce historique de premier plan, un premier brouillon qu’on aurait tort de négliger si l’on veut comprendre l’œuvre dans son unité. Souhaitons que cet exemple qui montre qu’il faut du temps et du travail avant de maîtriser son moyen d’expression saura inspirer à un futur maestro toutes les vertus nécessaires à sa propre maturation. On aurait bien besoin d’un nouveau visionnaire de la trempe d’un Kubrick.
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