Europolis, road-movie à la dérive
Le 25 octobre 2011
Mention spéciale du jury au Festival des films du monde de Montréal, Europolis, récit franco-roumain de Cornel Georgita, vogue entre drame folklorique et conte fantastique. Un voyage envoûtant aux très larges frontières.
- Réalisateur : Cornel Gheorghita
- Acteurs : Adriana Trandafir, Áron Dimény
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Roumain
- Durée : 1h38mn
- Plus d'informations : http://www.europolis-film.com
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Mention spéciale du jury au Festival des films du monde de Montréal, Europolis, récit franco-roumain de Cornel Gheorghita , vogue entre drame folklorique et conte fantastique.
Un voyage envoûtant aux très larges frontières.
L’argument : Dans son petit village de l’est de la Roumanie, Nae apprend le décès de son oncle Luca, disparu depuis fort longtemps. Le télégramme du notaire convie Nae et sa mère à se rendre en France. Une des dernières volontés du défunt est d’être enterrée dans le cimetière de sa ville natale Sulina, qui se trouve de l’autre côté du continent, au bord de la Mer Noire. Arrivés dans la maison du défunt, au bord de l’Atlantique, les deux roumains apprennent du chaman Ata, le meilleur ami de Luca, qu’il ne reste rien de l’héritage de l’oncle si ce n’est un étrange cercueil. Au retour, et à leur insu, l’âme de l’oncle profite du voyage. Comme le veut la tradition roumaine, elle refait en quarante jours de deuil le chemin de sa vie passée. L’âme de Luca choisit Nae pour habiter et rejoindre sa dernière demeure. Le cortège des "trois" roumains guidé par leur ange gardien va traverser les douanes célestes qui mènent finalement au jugement dernier.
Notre avis : Premier long-métrage de l’expatrié Cornel Gheorghita, Europolis est une expérience : celle de l’élongation du temps, de l’apreté de la distance, et de l’épuisement du voyage. L’histoire commence dans la cité désargentée de Sulina, ville portuaire roumaine et ancienne mégalopole européene, aujourd’hui plus connue pour son taux de chômage que pour son phare monumentale. Une ville de passage donc. Plantée dans ce décor, une famille qui se détache et s’endommage, Nae et sa mère, déjà écorchés par une séparation vieille de vingt ans, celle d’un oncle, Luca, jamais revenu de France. Jusqu’a ce télégramme arrivé un matin, annonçant sa mort. Face à cette perte, le voyage s’entreprend. En bateau bien sûr. A la dérive entre deux continents, deux cultures, deux mondes, nos deux pélérins quittent le port de Sulina et son ancien phare, point zéro du Danube. Dans le lointain, son dernier rayon de lumière se brouille et s’évapore. La marche funèbre nage désormais en eaux troubles. A l’image des quarante jours de passage nécessaires à l’âme du défunt pour trouver la paix, du moins dans la tradition roumaine, le voyage jusqu’en France se révèle être un véritable périple. Physiquement d’abord, l’endurance des nombreux moyens de transport heurtant et alanguissant les muscles des personnages comme des spectateurs. Spirituellement ensuite, l’âme facétieuse de l’oncle Luca prennant plaisir à torturer, exaspérer, et vampiriser ses descendants.
Europolis c’est donc avant tout une question de transfert. Pour renforcer l’atmosphère intrigante de ses multiples substitutions, Gheorghita crée une image moulée dans un cocon crépusculaire enveloppant la nuit tombée le corps de nos voyageurs. Pastelle, discrète et surannée, la photographie de Ovidiu Marginean a presque une beauté picturale. Dans ce tableau du deuil, les figures de la mort sont constamment présentes, telles des vanités cachées dans les recoins du cadre. Nourriture et vêtements noirs, chaman et cercueil, miroirs voilés et lettre testamentaire, toute la mise en scène converge vers un seul et unique but : traduire de la présence post-mortem de Luca.
De ce cette intention nait un fantastique surprenant, venant casser la tonalité très dramatique des premières minutes. Et des signes avant-coureurs de l’existence de Luca, on passe alors à des phénomènes de possession. Du téléphone fantôme à la voyante prophète, l’ambiance tourne au surnaturel. Dans cette errance dansante des survivants et des disparus, le réalisateur égrène quelques points de repère, posés là comme boussolles de la dernière demeure sous forme de tunnels et de ponts. C’est n’est que par leur franchissement que la paix des âmes se fera.
Europolis c’est aussi l’explosion très actuelle du syncrétisme. Chaman africain, tombeau christique en forme d’âne, rituels grecs orthodoxes en pleine campagne française, le film fait véritablement figure de parabole européenne. Jouant de personnages archétypés (la mère pieuse, le fils alcoolique, la femme courageuse et la fille affriolante) et d’un jeu d’acteur sur-expressif voir chaloupé, Cornel Gheorghita souffle un petit vent de poésie bohémienne sur ces plans désaccordés et ces décors dérangés . Vie et mort sont ici "un joyeu bordel"et il y a quelque chose de "gypsy" dans ces rencontres faites au fil des routes.
Une fois les barrières surmontées (langue, culture, route) le voyage prend fin pour la mère de Nae, et sur le chemin du retour, son corps part rejoindre celui de son frère. La boucle est bouclée et, munie désormais de deux cadavres à enterrer, Nae traverse pour la dernière fois sur sa frêle barque à moteur le fleuve du Danube. Le passage entre deux mondes se clot sur l’autre rive lorsque morts et vivants trouvent et retrouvent leur place. L’ordre des choses se rétablit alors. L’odysée prend fin. Au coeur du problème de déracinement, Europolis par les nombreuses migrations qu’il propose, est un film puissamment universel et contemporain. Une excellente bande originale, fil rouge du récit, vient rythmer la dynamique de ce voyage extérieur et intérieur. A découvrir.
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