Le 7 avril 2023
- Titre original : Ducks : Two Years in the Oil Sands
- Scénariste : Kate Beaton>
- Dessinateur : Kate Beaton
- Genre : Autobiographie
- Editeur : Casterman
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 8 mars 2023
- Titre original : Ducks : Two Years in the Oil Sands
Une autobiographie saisissante sur l’expérience d’une jeune femme travaillant dans les sables bitumineux de l’Alberta, au Canada.
Résumé : Kate Beaton, 21 ans, vit en sur l’île de Cap-Breton (Nouvelle-Écosse), une région rurale située à l’extrême-est du Canada. La jeune femme, qui vient tout juste de terminer ses études, se retrouve avec un lourd prêt étudiant sur le dos. Pour le rembourser au plus vite, Kate décide en 2005 de se rendre dans la riche région de l’Alberta pour se faire embaucher dans l’industrie des sables bitumineux qui recrute à tour de bras. Sur place, elle découvre un univers masculin et viriliste radicalement différent de son île natale. D’abord isolée et régulièrement victime de harcèlement de la part de ses collègues de travail, Kate déploie différentes stratégie de survie dans ce milieu hostile, et décrit un système qui exploite à la fois l’environnement et les êtres humains.
Critique : Avec Environnement toxique, Kate Beaton s’inscrit dans la veine de l’autobiographie et livre un témoignage saisissant sur le monde du travail dans l’industrie extractiviste du Canada. À travers le récit du quotidien de l’autrice, cet album ample – plus de 400 pages – décortique soigneusement la violence de cet univers quasi-exclusivement masculin qui broie les hommes de façon insidieuse. Le double sens donné du terme « environnement » choisi pour traduction française (le titre original est Ducks : Two Years on the Oil Sands, référence à une histoire de canard dans le récit) s’avère particulièrement judicieuse. En effet, Kate Beaton témoigne aussi bien de la toxicité de cette industrie pour l’environnement que des rapports humains marqués par le harcèlement et les violences sexuelles. S’ils gagnent bien leur vie dans cette industrie, les travailleurs vivent loin de leur foyers et sont parfois logés dans des camps de travail. Il s’en suit une série de troubles dont l’autrice rend finement compte : dépression, agressivité, violence envers les femmes, ultra-minoritaires et cantonnés à certains métiers de supports. Face au sexisme et aux violences, la hiérarchie ferme les yeux, comme l’apprend l’autrice à ses dépends.
- Kate Beaton / Casterman
Outre certaines scènes particulièrement marquantes qui restent en mémoire bien après avoir refermé l’album, la force du récit réside dans la justesse du ton de son autrice. Si elle narre sa propre expérience, Beaton n’émet pas de jugement péremptoire et n’emploie pas un ton victimaire. D’ailleurs, le double de l’autrice évolue au fil de ses expériences : assez naïve et déboussolée lorsqu’elle arrive sur place, Kate se forge un cuir épais, noue des amitiés – avec d’autres femmes, mais aussi avec certains hommes – et parvient à gérer les comportements déplacés, « formant » même les nouvelles venues. À mille lieues du narcissisme, Environnement toxique décrypte un système qui favorise l’émergence des violences sexistes et sexuelles : isolement social des travailleurs, univers masculin et viriliste, dureté du travail au quotidien, absence de réaction de la hiérarchie… Ce constat est aisément transposable de nos jours même si la vague #metoo a considérablement fait bouger les lignes depuis le milieu des années 2000 où se déroule le récit.
L’honnêteté de Kate Beaton se ressent également lorsqu’elle évoque la question environnementale. À cet égard, l’autrice est prise entre deux feux puisqu’elle participe en tant qu’employée à l’industrie d’extraction du pétrole. Dans le récit, prise de conscience s’effectue de façon progressive, à travers la question de la spoliation des terres appartenants aux natifs et celle des espèces migratoires. Environnement toxique (Ducks) s’arrête sur la migration de canards qui, lorsqu’ils arrivent en Alberta, se retrouvent piégés par les rejets toxiques qui polluent les cours d’eau. Plutôt que d’investir pour l’assainissement des rivières également rendues inutilisables, les industriels préfèrent… acheter des mégaphones censés apeurer les animaux pour les dissuader de s’arrêter dans la région.
- Kate Beaton / Casterman
Sur le plan graphique, Kate Beaton opte pour la simplification du trait avec des cases en nuances de bleue, et un découpage d’une grande souplesse qui donne du souffle au récit. L’autrice prend tout de même soin de représenter de façon réaliste les machines, uniformes et outils de travail de cette industrie, donnant à l’album sa valeur documentaire. Quelques doubles pages bienvenues représentent de façon globale les différents sites industriels.
Fruit de longues années de travail, Environnement toxique est une autobiographie puissante et stimulante, qui dépeint un monde du travail toxique pour l’environnement et pour ceux qui y travaillent. Fascinant.
440 pages – 29,90 €
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Galerie photos
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