Les entretiens aVoir-aLire
Le 9 décembre 2009
A l’occasion de la sortie de Persécution, Patrice Chéreau évoque son travail sur son dernier long-métrage, sa relation avec les acteurs, ainsi que sa collaboration avec Anne-Louise Trividic, sa co-scénariste. Rencontre avec un réalisateur méticuleux et passionné.
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A l’occasion de la sortie de Persécution, Patrice Chéreau évoque son travail sur son dernier long-métrage, sa relation avec les acteurs, ainsi que sa collaboration avec Anne-Louise Trividic, sa co-scénariste. Rencontre avec un réalisateur méticuleux et passionné.
aVoir-aLire : La scène d’introduction de Persécution est très forte car tout le film à venir semble s’inscrire, s’écrire dès le départ...
Oui, c’est un prologue, une ouverture, une volonté de faire apparaître le personnage de Romain, de nous le faire rencontrer. Il fallait donc que ce soit au milieu d’anonymes, au milieu de la brutalité urbaine, banale, classique, j’ai envie de dire. Brusquement après, c’est lui que l’on suit. J’aimais bien l’idée que ce soit deux personnages qu’on ne verrait plus après dans le film et que cela nous amène vers un autre qui va être le personnage principal. Lui-même va faire une rencontre qui va être décisive, si je puis dire, en haut des marches du métro.
Daniel, le personnage incarné par Romain Duris, est quelqu’un de très entier, qui n’accepte pas les compromis, qui veut des certitudes, mais qui paradoxalement les remet et se remet perpétuellement en question...
Il ne se remet pas assez en question je pense. Vouloir des certitudes, c’est ne pas se remettre en question, c’est vouloir se rassurer sur ce que l’on est et cela veut dire réclamer des certitudes aux autres. Or, en amour, il n’y a pas de certitude. A un moment donné en amour, il faut accepter de vivre quelque chose, d’abord faire confiance à la personne avec qui l’on vit, c’est ça le plus dur. Si on réclame des certitudes, ça veut dire que l’on ne fait pas tout à fait confiance.
C’est vrai qu’il maltraite Sonia, sa compagne...
Il la maltraite, mais il la maltraite en pensant qu’il a raison d’insister, de lui réclamer un amour dont il pense qu’elle n’est pas tout à fait prête à lui donner. Ce qui n’est pas vrai du tout, elle l’aime très fort.
Est-ce par la complexité des personnages, notamment Daniel, que vous pouvez atteindre une certaine vérité sur l’homme en général ?
C’est général, mais sur l’amour, sur la relation de deux personnes ensemble, sur ce que cela veut dire être un couple. Cela veut dire être deux personnes vivant ensemble, vivant une même histoire. Cela veut dire à quelle distance est-on de l’autre, qu’est-ce qu’on laisse à l’autre, à elle ou à lui, quelle place on réclame. Comment arrêter de réclamer, comment laisser venir les choses, c’est cela la difficulté. C’est de cela que cela parle. D’une mauvaise façon ou d’une bonne façon.
Daniel est continuellement en mouvement, il parle vite et beaucoup, se fait violence autant qu’il est brusque avec son entourage. On a de la part de Romain Duris une vraie performance d’acteur, convaincu, actif et engagé. Comment avez-vous dirigé Romain Duris dans ses déplacements et sa gestuelle ?
On utilise le matériau que les comédiens nous offrent. On ne dirige pas, on accompagne, on aide, on pousse dans certaines directions. Je pensais qu’il devait être désagréable au début et puis incroyablement touchant et attachant et réellement persécuté et réellement persécuteur. On essaie de suivre pas à pas, ce qui n’est pas toujours simple dans un film parce que l’on ne tourne pas dans l’ordre. Mais de suivre pas à pas, d’avoir un trajet, de dessiner un portrait de quelqu’un, d’un homme extrêmement attachant et difficile. Je ne sais plus comment je dirige les acteurs, c’est une seconde nature chez moi. Je les regarde déjà beaucoup. Je les corrige, j’essaie de les aider, j’essaie de les accompagner, j’essaie de les pousser à faire des choses que peut-être d’autres réalisateurs avant n’ont pas demandé. Des choses que je vois chez eux et qu’eux ne voient pas. J’essaie de leur faire retrouver après quelques prises quelque chose qu’ils ont fait sans savoir ce que c’était. Donc, j’essaie de le définir. Quelques fois, il y a des choses magnifiques qui sortent des comédiens et eux ne le savent pas toujours au moment où ils le font. Il faut être là pour regarder et pour dire « voilà, ça c’est bien, ça j’aime beaucoup, je suis touché, ému par ce que tu viens de faire ». C’est un mélange de beaucoup d’attitudes, de positions et de situations.
Au point de départ, vous les introduisez ou vous les laissez improviser ?
Au point de départ, il y a le scénario. Il y a un accord ou une incompréhension sur le scénario. Ils me disent « ça, je ne comprends pas » ou je leur demande « pourquoi est-ce que... ». On essaie de trouver un chemin qui fasse que cela leur semble logique. On est condamné à avoir l’accord du comédien, à avoir le plein accord. On est condamné à ce qu’ils collent exactement au rôle. Donc, à un moment donné, s’ils ont du mal, il faut transformer un peu le rôle.
Comment et dans quelle perspective avez-vous créez les personnages de Michel et Thomas, les amis de Daniel ? Tout semble n’être qu’une question d’équilibre finalement...
Il y a un bon et un mauvais ami. Il y a un ami silencieux et qui accepte beaucoup et qui le défend et un ami écorché vif, qui est un boulet, dont il a décidé de s’occuper. C’est sans doute celui qu’il préfère mais dont il ne peut pas se détacher. Un ami impossible. On a tous un ami absolument impossible qu’on tient à distance et en même temps que l’on appelle tout le temps et qui à la fin finit par devenir votre esclave.
Gilles Cohen en dépressif et Alex Descas avec sa tranquillité bienveillante sont surprenants...
Ils sont le jour et la nuit, sans jeu de mots. C’est-à-dire qu’ils ne se ressemblent pas du tout. Gilles est incroyablement épidermique et lourd. Alex est incroyablement calme et silencieux. C’est ça qui est beau. Alex Descas est quelqu’un qui est célèbre pour son silence au cinéma. Parce qu’il peut ne pas parler. Son visage est magnifique au repos. C’est sa nature profonde en plus. C’est quelqu’un qui ne triche pas. Je regrettais beaucoup qu’il n’ait que ça à faire.
Et puis il y a le fou... Daniel et celui-ci se confondent. Considérez-vous le fou comme le double de Daniel, un pan de sa personnalité que celui-ci se refuse à voir et à exprimer ?
Ce peut être un double si l’on veut. C’est un miroir, ils se ressemblent. L’effet de miroir, Daniel ne le voit pas. Il ne le reporte pas, mais en même temps, il est préoccupé. Il n’est pas impossible que Daniel un jour se dise, plus tard ou pendant le film, peut-être je suis comme lui ou qu’il est comme moi. En tout cas, le film ne traite pas de cette question, il ne voit pas le double. Il devrait parce qu’ils se ressemblent. Ils ont la même façon d’aimer, entière, exclusive et qui ne fait absolument pas attention, réellement, au partenaire.
Il réclame de l’amour mais c’est par rapport à lui...
Oui, c’est ça. Il ne pense qu’à lui. Le parallélisme est assez poussé : Daniel pense que c’est Sonia qui ne va pas bien et qui est handicapée dans l’amour. Tout comme le fou pense aussi que Daniel finira aussi par lui avouer quand il se lâchera complètement, à quel point il l’aime. Tout est logique dans le fou, à un seul détail près ; c’est que Romain ne le connait pas et ne l’aime pas.
Finalement, Sonia et Daniel ne peuvent s’aimer qu’à distance.
J’aurais adoré qu’ils s’aiment autrement. C’est une situation troublante où cela marche mieux quand ils sont loin. Ils se séparent aussi à la fin, cela a basculé du mauvais côté. En tant que spectateur, j’attends, j’espère toujours qu’ils vont trouver un calme et un apaisement. Ils le trouvent dans la rupture, c’est affreux.
Dans cette relation à l’autre, alors que le fou insupporte Daniel, c’est pourtant bien à lui qu’il va faire des révélations sur son histoire familiale et lui dévoiler un secret qui lui pèse et qui l’empêche quelque part d’avancer...
C’est parce qu’il ne le connaît pas. C’est comme déposer cette chose brûlante, il fallait la dire, que cela sorte de lui. Mais il la dépose dans un placard dont il ferme la porte. C’est-à-dire que le fou ne fera rien de cette histoire. On voit bien à sa tête qu’il ne comprend rien à cette histoire, il l’écoute, ahuri. Ce sont des choses que l’on ne peut dire qu’à un inconnu qui ne s’en servira pas. Ca libère. Cela arrive quelquefois que l’on raconte des choses dont on ne sait pourquoi on les raconte à cette personne. Elles sont tellement importantes, l’autre n’en fera rien, n’écoutera même pas, mais au moins on l’a dit. Ce n’est pas la peine de le dire à des gens pour qui cela compte vraiment. Il faut être dans un grand moment de confiance avec la personne pour dire ces choses-là.
Cette séquence est troublante : filmée dos à Daniel, seulement interrompue par un regard de Jean-Hugues Anglade. Avez-vous pensé cette scène dès le départ comme l’un des piliers narratifs de Persécution, une étape capitale dans l’évolution de Daniel ?
On ne savait pas quel était ce secret, mais naturellement à force d’écrire le scénario, on a découvert qu’il ne pouvait le dire qu’au fou. On était surpris de cela, mais il n’y avait personne dans l’entourage de Daniel prêt à le recevoir. On n’a pas fait ce que l’on a voulu, c’était une déduction logique de tout le scénario. On savait qu’il y avait une chose énorme, douloureuse, on ne savait pas laquelle. La première étape était de savoir que cela était assez tard dans le scénario et que le récipiendaire devait être le fou - ce qui était une grande surprise pour Anne-Louise et moi. C’est assez beau quand brusquement les personnages ne font pas exactement ce qu’on leur demande de faire.
Les personnages ont leur indépendance...
Oui, ils font ce qu’ils veulent. Tous les romanciers vous le diront. Après avoir écrit la moitié d’une histoire, il y a des voies qui sont fermées qu’on ne peut pas suivre. On aurait envie qu’ils aillent là mais on ne peut pas. La logique venant de ce qui précède les emmènent ailleurs.
Le scénario de Persécution est le fruit de votre quatrième collaboration avec Anne-Louise Trividic, après Intimité, Son frère et Gabrielle. Comment organisez-vous cette écriture à deux mains ?
On écrit à deux, j’ai écris dix pages. Je les lui ai données, elle a tourné autour et elle m’en a écrit une quinzaine. Elle me les a renvoyées et j’ai réécris dessus. On a travaillé beaucoup par mail et l’on a fini par se voir. C’est une vraie collaboration d’un an à un an et demi. Quelques fois, les séances de travail sont globales, je réécris en rouge ce que j’ai corrigé. Je poussais un peu pour que Daniel soit un peu plus persécuteur. A partir d’une phrase que j’avais dite, elle a inventé le personnage de Sonia. C’est elle qui a écrit les dialogues, les situations ; la voiture prêtée, c’est elle, la scène du métro, c’est elle, le coup de fil, c’est elle ; Anne-Louise Trividic a amené une matière énorme.
Cette écriture commune avec Anne-Louise Trividic peut-elle être considérée comme une autre étape dans votre carrière de cinéma ? Après les succès de La reine Margot et Ceux qui m’aiment prendront le train, on remarque un changement de style.
C’était quelque chose autour de laquelle je tournais. La Reine Margot, c’était différent parce qu’il y avait un roman de Dumas à la base. Après il y a eu un énorme travail de près de quatre ans avec Danielle Thompson. On travaillait de la même manière, on parlait, on faisait des notes d’intention et elle commençait à écrire. Ceux qui m’aiment a été écrit par Danielle Thompson puis retravaillé avec Pierre Trividic, le frère d’Anne-Louise. La chose différente, ce n’est pas le travail avec le scénariste ou les sujets. La chose différente, c’est qu’après Ceux qui m’aiment, je me suis mis à faire des films un petit peu plus petits. Plus intimistes d’abord. C’est de là qu’est venu Intimité. Là j’ai croisé deux histoires, mais dans Ceux qui m’aiment, il y en avait douze ! Je m’entendais dire dans les interviews « j’aime bien quand il y a beaucoup d’histoires ». Je me suis dit que c’était peut être parce que je n’étais pas capable d’écrire une histoire pour deux personnes. J’ai cherché une histoire à deux personnes. Je suis tombé sur ce livre d’Hanif Kureishi. Anne-Louise n’a pas follement aimé ce livre qui s’appelle Intimité mais a beaucoup apprécié une nouvelle Veilleuse, donc on a mélangé les deux. Après, on a fait des films beaucoup plus petits, Son frère, Gabrielle, mais parce que les conditions financières du cinéma ont changé. Je fais des films plus petits, donc plus intimistes qu’avant. Ceux qui m’aiment, sans parler de La reine Margot, à l’économie assez lourde, seraient des films plus difficiles à faire maintenant.
Entretien réalisé à Paris, le 9 Décembre 2009
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