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Le 4 août 2009
Très expansif, Eran Merav décrit avec enthousiasme son premier film, Zion et son frère, et l’ancre particulièrement dans son pays, Israël, qu’il dépeint avec passion.
- Réalisateur : Eran Merav
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Très expansif, Eran Merav décrit avec enthousiasme son premier film, Zion et son frère, et l’ancre particulièrement dans son pays, Israël, qu’il dépeint avec passion.
Avoir-Alire : Zion et son frère est votre premier long-métrage après un premier court remarqué dans les festivals. S’agit-il d’un projet de longue date ?
Oui : lorsque j’ai terminé la réalisation de Underdog, mon court-métrage de fin d’étude qui a été très remarqué. Il a reçu notamment la mention spéciale du jury au Festival de Berlin. En général, il a été très bien accueilli de par le monde. Mais je sentais que je n’avais pas exprimé toutes les choses que je voulais dire à travers ce film, que ce n’était pas assez. J’avais besoin de continuer, de réaliser un autre film. Zion et son frère est le grand-frère du court métrage Underdog : il s’agit du même sujet, mais ce n’est pas la même histoire. C’est différent, mais l’esprit de la réalisation est le même. On peut sentir le lien entre les deux histoires.
Les acteurs principaux sont interprétés par de jeunes acteurs inconnus et talentueux. Comment les avez-vous découvert et choisis ?
Quand on a des personnages de quatorze ans dans un film, il y a deux options : aller dans des agences de casting, rencontrer et discuter de jeunes acteurs qui ont déjà de l’expérience mais on n’en rencontre pas beaucoup et au bout du compte, on ne voit que six enfants. Mais six, ce n’est pas assez. Je pensais que pour trouver ces adolescents, cette option n’était pas suffisante. Je voulais les voir jouer, les observer dans leur environnement. Donc, je suis allé dans un magasin, j’ai acheté de bonnes chaussures et j’ai marché à travers Israël pour trouver Zion. Je l’ai trouvé dans la rue, à la sortie de l’école. Il était complètement amateur. Il regardait continuellement la caméra, il ne savait pas comment faire. Mais, il était le personnage : à chaque fois qu’il parlait, il était crédible. Il ne jouait pas, il était le personnage. En ce qui concerne le grand frère de Zion, j’ai agis de la même manière. J’aime découvrir moi-même mes acteurs. Je trouve cela très plaisant.
Comment s’est déroulée la collaboration entre les comédiens débutants et des acteurs confirmés comme Ronit Elkabetz ?
Pour Michèle, la jeune fille et pour tous les jeunes acteurs, c’était la première fois qu’ils voyaient une caméra et qu’ils jouaient devant. Avec Ronit Elakabetz et Tzahi Gradi, qui sont des acteurs professionnels très populaires, une réelle équipe s’est constituée et je sentais que j’avais constitué une famille. Il y avait deux manières différentes de travailler avec les adolescents et avec les acteurs professionnels et je passais sans cesse d’un « groupe » à l’autre. Il y avait des discours différents. Les enfants étaient très physiques, le dialogue était physique. Ce n’était pas du tout psychologique.
La présence de Ronit Elkabetz au générique était-elle envisagée dès le début du projet ou bien l’actrice s’est-elle intégrée plus tard dans votre équipe, au moment du casting ?
Oui. J’ai écris le film en pensant à Ronit. Le film est très physique et pas du tout psychologique. Je ne suis pas en train de dire que l’on ne va pas en profondeur mais c’est la manière dont les personnages interagissent qui est très physique. Les deux frères dorment dans le même lit, la mère lave ses fils. Ils se disputent, s’embrassent, se battent parce qu’ils n’arrivent pas à parler, ils ne se comprennent pas. Mais ils s’aiment ; s’ils ne faisaient que se détester, ce ne serait pas intéressant. C’est l’esprit de la famille. J’ai pensé que Ronit pouvait me donner cette force, elle peut donner le bain à son fils en étant crédible. Elle ne comprend pas bien ce qui se passe, ne sait pas ce qu’elle doit faire ; elle essaie d’être une mère.
J’ai trouvé beaucoup de choses en Ronit. Son personnage imaginait une vie plus impressionnante. Elle ne voit pas ce qui se passe dans sa propre maison, elle a de nombreux rêves. Mais chez elle ses fils ont de gros problèmes et elle n’en sait rien. Elle ne veut pas voir la réalité. Elle est une mère maladroite dans une famille bancale. Le grand frère tient le rôle du père, du frère de Zion et du petit-ami de sa mère. Mais ce n’est pas possible, il est un adolescent. Il ne veut pas être le père. Personne ne s’occupe de lui, cela explique sa nervosité, son agressivité. Quand il frappe Zion, il ne veut pas vraiment le faire, il ne veut pas être le père et il a honte de l’avoir frappé. Il n’arrive pas à communiquer avec les autres. C’est pourquoi lorsque Zion va, à la fin, dans le café avec sa mère et qu’il parle, Meir [le grand frère] devient le petit frère et le petit frère devient le grand. Ils échangent leurs rôles.
Vous semblez vous concentrer essentiellement sur les personnages. Est-ce pour cela que l’on n’a quasiment pas d’informations sur le contexte historique et social dans lequel se situe le film ?
Lorsque l’on décide de réaliser un film en Israël, on a deux options, on doit vraiment prendre une décision : on peut faire un film sur le conflit ou un film dont le conflit n’est pas le sujet. C’est une décision politique. J’ai décidé de ne pas faire un film sur le conflit. Mais on ne peut pas faire un film en Israël sans évoquer le conflit en toile de fond.
Par exemple, Zion et son frère est une histoire très simple qui aurait pu se dérouler n’importe où. Il s’agit d’une histoire universelle. Je me souviens lorsque j’étais enfant, je ne réalisais pas ce qui se passait. Personne ne fait attention aux enfants du film. Personne ne s’inquiète du mystère de la disparition de l’un d’eux ni ne pose de questions. Il n’y a pas d’enquête pour savoir ce qui est arrivé à l’enfant et le retrouver. Personne ne le cherche à l’exception de son père. La police n’est pas impliquée, personne ne pose de question parce que la vie humaine n’a pas une grande valeur. Cette situation est une dérivation du conflit. Lorsque mille personnes meurent à Gaza, il n’y a pas de débat à ce sujet. Dans le film, je n’ai pas filmé de débat au sujet de cet enfant immigré disparu. Je vois le lien entre ce qui se passe à Gaza et ce qui se déroule dans la vie quotidienne. Le conflit est dans la société et la vie humaine n’a pas de sens, comme dans le film.
Vous dites que Zion et son frère aurait pu se dérouler n’importe où...
...mais il est vraiment israélien. Dire qu’il pourrait se dérouler n’importe où est une métaphore, je voulais qu’il soit le plus israélien possible. Zion est un nom typiquement israélien.
...considérez-vous donc le film comme une métaphore du conflit israélo-palestinien ?
Il s’agit de l’esprit du conflit dans le film. Le mot « métaphore » est trop littéraire. Je n’aime pas employer le mot « métaphore », même s’il peut y avoir des métaphores au cinéma. Mais l’esprit du conflit est définitivement présent dans le cinéma israélien. La société est imprégnée du conflit, il s’agit définitivement d’une société violente mais je ne voulais pas « faire de la violence hollywoodienne », je voulais prendre du recul avec la violence.
Vous avez choisi de beaucoup montrer le paysage ; nous pouvons fréquemment « sentir » le vent, le soleil... Etait-ce volontaire de votre part ou votre intérêt pour le paysage s’est-il révélé au cours du tournage ?
Le lieu est le cinquième personnage du film. Si les enfants avaient pu s’acheter les chaussures qu’ils désiraient, le film n’aurait pas eu lieu. Pareillement, s’ils n’avaient pas eu de vélo, il n’y aurait pas eu de film. Le métrage ne prend son sens que dans le lieu précisément. Il n’y a pas d’espoir. Zion a perdu ses chaussures, il ne peut s’en racheter donc il se bat pour ses chaussures. L’histoire commence par le lieu, le contexte.
Ensuite, concernant la lumière, il faut savoir qu’en Israël, l’été est la saison dominante. Il est très violent, il n’y a pas d’ombre. Les enfants sont entourés par les buildings en béton, il n’y a aucun endroit pour se protéger du soleil. On n’est véritablement tranquille nulle part, les voisins sont les uns sur les autres. Le soleil frappe très fort, il fait très chaud. A cause du soleil, en plein été, les conflits entre Israël et la Palestine sont délocalisés en Scandinavie pour que les israéliens et les palestiniens puissent continuer à se battre !
Il était très important pour moi de filmer l’été, cet été monumental. C’est la saison ! C’est très violent, il ne pleut pas. Malgré tout ce qui peut se passer, l’été domine la société israélienne. Je suis très heureux de l’avoir capté.
Dans votre esprit, lorsque vous pensez à Israël, vous l’associez automatiquement à l’été ?
C’est une très bonne question car ce qui m’a poussé à faire le film, c’est ce qui me lie à Israël. A ma vision d’Israël. Israël n’est pas à Tel-Aviv. Israël est en banlieue. Israël, ce sont les buildings et les usines. Israël, ce sont deux personnes qui parlent et se battent en même temps. Israël est très très nerveuse, intense, excitante. Israël est une société très physique. Israël, c’est beaucoup d’amour. Et lorsque l’on réalise un film, on essaie de contrôler la réalité. Dans le même temps, j’ai essayé de capturer la vraie vie.
Avez-vous été influencé par certains cinéastes israéliens ?
Ce qui est très excitant dans le fait de faire des films en Israël, c’est que l’on peut être le premier à faire certaines choses. Ce n’est pas comme en France, on l’on est toujours comparé. Ici, nous sommes dans une tradition très individualiste. Je suis le premier à capter cette part d’Israël ! (rires) Le cinéma israélien est composé de voix individuelles et je suis très fier d’être l’une d’entre elles. Plus nous avançons dans le cinéma, plus nous pouvons nous citer les uns les autres, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Pas encore. Mais nous pouvons voir apparaître une nouvelle vague du cinéma israélien. Une deuxième vague et je pense que j’en fais partie. La première vague traitait du conflit, de la religion, des relations entre juifs et arabes... Maintenant, les gens dans le monde, en France particulièrement, commencent à s’ouvrir, à voir ces films par-delà le regard de CNN sur le conflit.
Dans mon histoire, le conflit est à l’arrière-plan, on le sait et on peut se laisser guider par le récit. Je pense que c’est ce qui commence à se faire actuellement : les récits se déroulent en banlieue de Tel-Aviv. Je pense que cela crée une petite communauté. Je ne peux pas ignorer les autres réalisateurs israéliens, mais je pense que nous avons tous notre voix spécifique. Je suis très fier de cela. Ce film n’est pas éloigné du conflit, mais il n’en n’est pas une voix. Il est une vision plus sophistiquée du conflit et je suis heureux que les gens l’apprécient.
Envisagez-vous la possibilité de tourner à l’étranger pour un projet à venir ?
Je ne pouvais pas imaginer Zion et son frère autre part qu’en Israël, mais pour un autre projet, qui sait ? Je sais ce que je ne veux pas : je ne voudrais pas tourner un film sur deux personnes assises dans un café à Tel-Aviv, parlant chiffons. C’est tout ce que je peux dire concernant un futur projet !
Entretien réalisé à Paris, le 8 Juillet 2009.
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