Une chambre à soi
Le 5 octobre 2023
Eva Husson raconte avec Entre les lignes l’histoire d’un apprentissage, d’une éducation sentimentale : celle de Jane, domestique le jour, écrivaine la nuit, qui fait de la vie son grand roman, intime et politique, déchirant et merveilleux, comme elle le qualifiera à l’orée de sa vie. Un portrait de femme électrisant.
- Acteurs : Colin Firth, Olivia Colman, Glenda Jackson, Josh O’Connor, Odessa Young
- Genre : Drame, Historique, Romance, Drame historique
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Condor Distribution
- Titre original : Mothering Sunday
- Date de sortie : 4 octobre 2023
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– Année de production : 2021
Résumé : Angleterre, 1924. Femme de chambre chez un couple d’aristocrates, Jane fréquente secrètement Paul, le fils des propriétaires du manoir voisin. Instinctivement, Jane sait que leur différence de milieu, et le futur mariage de Paul avec une autre, vouent leur liaison passionnée à l’échec. Elle se raccroche alors à ces étreintes dérobées comme à autant de futurs souvenirs destinés à nourrir sa plume d’écrivaine en devenir.
Critique : Adapté du roman Le dimanche des mères de Graham Swift, Entre les lignes raconte l’histoire d’un apprentissage, d’une éducation sentimentale, celle de Jane, domestique le jour, écrivaine la nuit, qui fait de la vie son grand roman, intime et politique, déchirant et merveilleux, comme elle le qualifiera à l’orée de sa vie. Tout le projet d’Eva Husson est de faire de son film l’écho de la psyché de son héroïne romantique et électrisante, servi par un montage heurté, passant d’une époque à une autre, d’une pensée futile à la plus douce des rêveries, comme autant de pages imprimées d’un roman fleuve. Entre les lignes construit son propre langage cinématographique, un langage qui s’extirpe peu à peu d’une narration conventionnelle pour aller chercher dans l’évocation, et faire naître la couleur du souvenir. De par sa temporalité fragmentée, ses visions presque fantasmatiques d’une aristocratie déliquescente se réfugiant dans leur simulacre comme autant de peintures de nature morte, ou bien encore les pérégrinations de Jane au travers de la campagne anglaise, tout confère à la poésie, à l’impressionnisme. La mise en scène d’Eva Husson, alerte et proche des corps, ne fait que prolonger cette sensation d’immédiateté et d’urgence : la cinéaste nous raconte l’avant, ce qui a été, ce qui ne sera plus, en somme les derniers jours d’insouciance d’une petite bourgade anglaise avant la grande bascule, le décès de Paul Niven. C’est l’être aimé, celui qui partagea des mois durant l’intimité de Jane dans une romance secrète, et en corollaire la mort annoncée d’un ordre social filmé comme un simulacre, les déjeuners champêtres ou les réception mondaines se rapprochant davantage de la pièce de théâtre, le théâtre de la vie. Ceci étant dû notamment aux placements méticuleux des comédiens, l’horizontalité de la composition, et l’absence de profondeur de champ. Nous devenons alors les témoins directs de leurs penchants inavoués, aspirations, espoirs et rêves : eux que l’amour ou l’amitié a rassemblés là, autour de la famille Niven.
Ce qui ressort le plus d’Entre les lignes est son aspect pictural. Eva Husson use de sa caméra pour étirer ses plans et perturber la temporalité de ses scènes jusqu’au vertige. Elle suit Jane, interprétée de manière lumineuse par Odessa Young, tout en pudeur et retenue, comme elle suivrait un personnage d’un tableau vivant s’offrant à nous, se baladant nue à travers le Manoir des Niven, admirant les portraits de famille et les photogrammes, sentant les livres de la bibliothèque du patriarche taiseux, investissant la demeure comme un cocon, le lieu où elle pourrait écrire toutes ses fictions. La caméra tremblante et fragile, comme si elle allait tomber dans l’abîme d’un moment à l’autre, accentue cette atmosphère lancinante. Les scènes que partagent Josh O’Connor, interprétant Paul Niven, le jeune héritier promis à une autre, et Jane, la domestique invisible aux yeux de tous, sont en cela les meilleures du film. Leurs après midis passés côte à côte, nus l’un contre l’autre, faisant l’amour comme si l’acte sexuel était la seule chose qui leur restait, cet extase dorénavant impossible à éprouver tant ils ne ressentent plus rien, devenus des fantômes en clair-obscur, à l’image de ce plan magnifique où Jane, allongée sur le lit, est éclairée par un jet de la lumière du soleil pile sur ses deux yeux, comme illuminée par la grâce, le regard reflétant notre "moi" intérieur, le miroir de l’âme.
Eva Husson effleure son regard à la surface de ces êtres, pour mieux capter ensuite, comme à leur insu, ces moments d’émotions brisées qu’elle arrache aux obscures profondeurs de leur conscience. On pourrait volontiers substituer la destinée de Jane à celle, bien réelle, de Virginia Woolf, grande écrivaine anglaise précurseuse de l’écriture dite du flux de conscience. Virginia, comme Jane, aspire à une chambre à soi, quelque chose d’insaisissable où les femmes pourraient se soustraire de la dépendance spirituelle et économique des hommes, qui, réduites au silence, ne pouvaient toucher à la magie des mots et prendre la plume.
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