L’étranger
Le 29 mars 2006
Le second film du réalisateur des Neufs reines est une merveille de noirceur, une promenade floue et hypnotique doublée d’un thriller atypique.


- Réalisateur : Fabián Bielinsky
- Acteurs : Ricardo Darín, Alejandro Awada, Dolores Fonzi, Pablo Cedron

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– Durée : 2h12mn
– Le site du film
Le second film du réalisateur des Neufs reines est une merveille de noirceur, une promenade floue et hypnotique doublée d’un thriller atypique.
L’argument : Un taxidermiste épileptique accepte, pour fuir son quotidien trop gris, une partie de chasse dans une forêt retirée. Le hasard va le jeter au milieu du "coup du siècle", un braquage de casino...
Notre avis : Après le magnifiquement retors et incroyablement intelligent Neufs reines, le second film de Fabian Bielinsky confirme le talent de ce réalisateur argentin. El aura est une œuvre bien différente de l’imbroglio arnaquo-sociétal que portait les neufs reines, jeu de cartes, dés pipés et portrait d’un pays en pleine crise. Reste un goût prononcé de Bielinsky pour les énigmes, et Ricardo Darin, acteur remarquable. Le réalisateur s’attaque ici au film noir, très noir, et base toute son histoire sur son personnage central atypique, "le taxidermiste", dont on ne connaîtra jamais le nom, et sur son décor, un refuge pour chasseurs en pleine forêt. En racontant une histoire de braquage (en apparence) banal à travers le regard d’un être à part, décalé, le réalisateur joue avec les règles du film de genre, restant à l’écart (la scène de l’attaque manquée de l’usine est une merveille), sans cesse en contretemps. Son sujet, c’est son personnage.
Sans se lancer dans de grandes diatribes (le film est, à l’image de son héros, d’une sobriété impeccable), Bielinsky filme ainsi les hésitations, les tâtonnements du taxidermiste, homme anesthésié par intermittence, sans prévenir, par ses crises d’épilepsie. C’est ce décalage avec la réalité, cette impression que la violence glisse sur lui comme la nuit sur le somnambule qui créé toute l’ambiance du film, et son efficacité. Ce qu’on ressent, c’est "el aura", cet instant qui précède la crise d’épilepsie, où, comme l’explique le taxidermiste, il n’y a pas de décisions à prendre. Il ne reste qu’à attendre, à être libre. A la fois acteur central et spectateur de l’action, il va devoir dépasser cet état qui sans cesse le rappelle à lui. Et sauver sa peau.
Au milieu de ce film lent et relativement long, la violence surgit, brute, rompant les silences. On se laisse entraîner dans cet obscur voyage en eaux troubles, sans bouder son plaisir de découvrir ce qui se passe (ou ne se passe pas) en même temps que le héros (Bielinsky ne quittant jamais son point de vue). Ainsi El aura, film hypnotique, est aussi un jeu de piste que le réalisateur dynamite au gré des détours de son héros, sorte d’étranger guidé par le hasard et un instinct surprenant né d’un cerveau malade.