La névrose du surhomme
Le 7 avril 2012
Visionnaire, hallucinatoire, animé d’une fièvre froide, ce feuilleton apocalyptique réalisé en pleine guerre de 14-18 inspirera le cinéma expressionniste.
- Réalisateur : Otto Rippert
- Acteurs : Olaf Fønss, Theodor Loos, Friedrich Kühne, Mechthildis Thein
- Genre : Drame, Fantastique
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h02mn
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– Sortie en Allemagne : 01.12.1916, Berlin, Marmorhaus
Visionnaire, hallucinatoire, animé d’une fièvre froide, ce feuilleton apocalyptique réalisé en pleine guerre de 14-18 inspirera le cinéma expressionniste.
L’argument : Sous le nom de Richard Ortmann, Homunkulus a pris la tête d’une corporation de puissants chefs d’entreprises et les pousse dans la voie d’un capitalisme pur et dur, sans états d’âme. Mais il pratique un double-jeu : déguisé en prolétaire, il appelle les ouvriers à se révolter.
Sven Fredland, un membre de la corporation, s’oppose aux décisions d’Ortmann et prêche la paix sociale. Homunkulus le fait enfermer dans une grotte secrète.
Un vagabonde, Margot, fascinée par Ortmann, s’introduit chez lui et découvre le journal intime où il révèle son origine artificielle. Elle se dévoue à lui corps et âme malgré cette révélation et devient sa complice.
Mais lorsqu’il l’emmène voir Fredland enchaîné dans la grotte la jeune femme s’éprend de celui-ci.
Ortmann tue son rival. Margot révèle son secret et le fait arrêter mais il parvient à s’évader et jure à nouveau de se venger en détruisant l’humanité entière.
Notre avis : Tournés en pleine guerre de 14-18, à partir de mai 1916, dans les studios de la Deutsche Bioscop GMBH à Berlin/Neubabelsberg, les six épisodes de Homunkulus sont sortis entre fin juin de la même année et janvier 1917. Ce contexte particulier n’est sans doute pas pour rien dans l’atmosphère hallucinée de fin de monde qui imprègne la quatrième partie, la seule conservée, de la série tirée d’un roman d’anticipation de Robert Reinert que l’auteur a lui-même adapté pour le cinéma. L’épisode suivant s’intitulera d’ailleurs Das Ende der Menschheit - La fin de l’humanité
- Die Rache des Homunkulus (1916)
L’esprit d’un romantisme noir, allié à celui du feuilleton populaire, souffle sur le film dont le héros est une créature artificielle dotée de pouvoirs surhumains que le sentiment d’être exclu de l’humanité par son incapacité supposée à éprouver et susciter l’amour entraîne dans une folie vengeresse.
Entre identification et répulsion, entre compassion et rejet, le spectateur est invité à observer les agissements de cette figure démoniaque qui utilise son intelligence et son art du déguisement pour passer d’un milieu à l’autre, attiser les conflits latents pour les faire éclater, déclencher mouvements de foules hystériques et guerres : Der Erdball soll unter dem Wüten der Völker erzittern - le globe terrestre doit trembler sous la furie des peuples.
Le film oppose à Homunkulus un héros positif, Sven Fredland, dont l’interprétation de Théodor Loos fait une espèce de saint illuminé, évitant ainsi de le rendre trop pâle et inconsistant, et les cartons d’intertitres délivrent un message clairement pacifiste. Mais une fascination quelque peu morbide pour la violence toujours sur le point d’exploser ainsi qu’un goût prononcé pour les relations sadomasochistes minent ce discours tout en lui donnant pertinence et profondeur.
- Die Rache des Homunkulus (1916)
- Die Rache des Homunkulus (1916)
En orchestrant de main de maître les mouvements de foules incontrôlables Otto Rippert sait admirablement créer un sentiment de danger. Il sait aussi rendre inquiétants les immenses escaliers et les décors sur-dimensionnés construits par Robert A. Dietrich ou la vaste carrière de pierre où se déroulent plusieurs scènes du film. Sa direction d’acteur est également remarquables et parvient à faire vivre des personnages qui, sur le papier, sont bien schématiques.
Revêtu d’une cape noir ou déguisé tantôt en magnat de la finance, tantôt en prolétaire, Olaf Fønss, star danoise engagée à prix d’or, est ténébreux et tourmenté à souhait dans le rôle-titre et Mechthild(is) Thein, presque toujours extasiée, dessine une figure étonnante et imprévisible de femme perdue, prompte à s’attacher d’abord à Homunkulus parce-qu’il est un exclu comme elle, puis à Fredland parce-qu’il est enchaîné et réduit à l’impuissance.
L’ influence du style Nordisk est palpable et le film fait notamment penser à ceux d’August Blom, par exemple le superbe Atlantis (1913), ou encore Verdens Undergang - la fin du monde (1916 - tous deux interprétés par Olaf Fønss). Mais, comme cela a souvent été souligné, les thèmes abordés et le traitement formel font aussi du film de Rippert un précurseur du cinéma expressioniste. On sera particulièrement sensible au travail sur la lumière (nombreux plans de nuit) réalisé par le grand chef opérateur Carl Hoffmann et à celui sur la composition : plongée sur un escalier avec des visages au premier plan, dans la pénombre, guettant la foule en contrebas qui s’agite dans un trou de lumière aveuglante.
- Homunkulus - (1916) - Otto Rippert
- Die Rache des Homunkulus (1916)
La copie qui nous est parvenue est assez abîmée sans que cela nuise à la sombre beauté visuelle des images. Le montage présente quelques défauts issus peut-être d’un rafistolage : raccords parfois déroutants, trous dans la narration, redites, voir menues interpolations. On sait qu’en raison de la perte progressive de qualité au fil des tirages successifs on montait généralement plusieurs versions d’un même film à partir de prises différentes, les meilleures étant réservées à la version A.
On sait aussi qu’ Homunkulus est ressorti en 1920 dans une version remontée (en trois parties) et raccourcie d’un tiers.
Ces vicissitudes expliquent peut-être l’état précaire et quelque peu lacunaire de la copie. Mais les marques du temps ne font à vrai dire que renforcer encore l’étrangeté de ce film aux allures de vision hallucinatoire consumée par une fièvre froide.
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