Le 11 juillet 2016
Un petit trésor oublié, à découvrir d’urgence et notamment pour la présence lumineuse de Jean Simmons, royale.
- Réalisateur : Arthur Lubin
- Acteurs : Stewart Granger, Belinda Lee, Jean Simmons, Percy Marmont
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain, Britannique
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 1h30mn
- Titre original : Footsteps in the fog
- Date de sortie : 25 novembre 1955
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– Sortie DVD : le 6 mai 2016
Résumé : Depuis la mort de son épouse, Stephen Lowry affiche une douleur feinte. Une mort que lui même a provoquée en empoisonnant sa femme. Sa jeune servante, Lily, a trouvé le flacon d’arsenic et obtient de ce fait un redoutable moyen de pression dont elle use. Elle en profite pour prendre de l’autorité dans la maison et contraint Stephen de faire d’elle sa maîtresse. Or, Stephen désire épouser Elizabeth, la fille de son associé Alfred Travers.
Notre avis : Des pas dans le brouillard témoigne de ce que le cinéma classique pouvait produire de meilleure par l’association de talents dans tous les domaines. Le professionnalisme du chef-opérateur, du décorateur, et même du cinéaste Arthur Lubin, voué pour la plus grande part de sa carrière aux nanars d’ Abbott et Costello ou aux aventures édifiantes de Francis, le mulet qui parle, sont en osmose… C’est peu dire pourtant que Lubin se prête avec intelligence à l’atmosphère victorienne et aux sombres machinations de ses héros. Prenons la première séquence : à l’enterrement succède le retour en calèche ; une fois déposés les serviteurs (la question de la classe sociale est l’un des thèmes du film), le veuf éploré quitte ses amis (qui joueront un rôle déjà ébauché en quelques plans) et rentre seul chez lui. La caméra le suit de dos dans une invraisemblable maison surchargée de bibelots, maison qui deviendra bientôt une vraie prison, et le voici devant le portrait de la défunte : cadré de face, cette fois, il lève son verre et sourit. Quelques images auront suffi pour créer une ambiance, croquer des personnages et ébaucher les thèmes majeurs. Certes, tout n’est pas de la même eau : on sent le cinéaste un peu embarrassé dans la séquence du tribunal, ou avec la blonde mièvre et amoureuse interprétée par Belinda Lee. Mais dans de nombreuses séquences, il parvient à une subtilité remarquable et, en particulier, son utilisation des plans débullés ou de la contre-plongée ne peut que susciter l’admiration.
Il a de plus la chance de s’appuyer sur un scénario solide : l’histoire de cette aide-cuisinière témoin du meurtre et qui veut en profiter pour s’élever socialement, en même temps qu’elle tombe amoureuse de son maître, Stephen Lowry (Stewart Granger), est construite sur une logique implacable, sans vrai temps mort. Fortifié par un recours classique à des motifs qui jouent un rôle important (le tableau, la canne, le chat, l’escalier, la fiole de poison ou la lettre), cette intrigue somme toute classique et linéaire prend une épaisseur humaine presque inespérée. S’y mêlent un érotisme discret et des considérations sur l’amour, l’argent, la structure sociale de l’Angleterre victorienne. Un bonheur, donc, conforté par l’utilisation habile des décors étouffants.
Et puis, il y a Jean Simmons : on se fera une idée de son talent d’actrice dans maintes scènes où elle passe dans le même plan par des états différents, sans cabotinage, avec une subtilité qui rappelle son jeu dans Un si doux visage (Preminger, 1952). Sa joue sur laquelle coule une larme, à la toute fin, déchirerait le cœur d’un légionnaire … Certes, Granger n’est pas tout à fait au diapason : autant il est impérial en aristocrate hautain, rôle qu’il maîtrise à la perfection, autant il est maladroit dans les séquences un peu plus complexes ; son visage raide n’exprime pas aisément des émotions subtiles. De même Bill Travers, qui joue l’avocat amoureux de Belinda Lee, est-il un peu trop engoncé dans des attitudes monolithiques. Mais pour le reste, la jubilation est de mise : de l’arrogante cuisinière au beau-père bonhomme, la galerie de portraits tient la route et même au-delà.
Avec ce film, Lubin égratigne aussi la bonne société victorienne, assise sur les apparences et la séparation des classes (voir l’allusion amusée à la liberté en Amérique). Le tableau n’est pas reluisant, qui montre qu’un noble gagné par l’appât du gain peut se sortir de situations fâcheuses grâce à sa réputation. On s’émeut certes du meurtre d’une victime innocente, la femme du policier, mais il ne saurait empêcher la bonne société de vivre sur sa bonne conscience. Si le propos ne va pas jusqu’à la satire, on est loin de Wilde, il démonte les compromissions d’un monde replié sur lui-même et sûr de son pouvoir.
Malgré quelques faiblesses, on tient avec Des pas dans le brouillard une de ces pépites oubliées, à la fois mélodrame et film noir, qui montre à quel degré de rigueur et d’intelligence était parvenu le cinéma américain dans les années 50 ; de la subtilité des éclairages au jeu rayonnant de Jean Simmons, c’est toute une époque raffinée qui se concentre dans ces 90 minutes de machinations, de coups tordus et de rebondissements. Grâces soient rendues à Sidonis d’exhumer de tels trésors, qui ne subsistaient que dans la mémoire de cinéphiles érudits.
Les suppléments :
Les entretiens avec Bertrand Tavernier (20 minutes), François Guérif (13 minutes) et Patrick Brion (12 minutes) célèbrent le film, le talent de Jean Simmons ou le travail du chef-opérateur. C’est érudit, passionnant, mais à les voir à la suite, on est un peu agacé par le nombre de redites. La galerie photos et la bande annonce complètent les bonus.
L’image :
Même si les couleurs ont hélas perdu de leur flamboyance, la copie proposée est d’un bon niveau de stabilité et de définition.
Le son :
Les deux pistes (vo et vf mono 2.0) ne laissent rien perdre des dialogues souvent savoureux et donnent à la musique une ampleur bienvenue.
Galerie Photos
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