Quand on arrive en ville
Le 20 novembre 2018
Suivre dans leur quotidien quelques habitants d’un quartier sur le point d’être littéralement rayé de la carte, il n’en faut pas plus pour comprendre que la modernisation de la seconde puissance économique mondiale ne fait pas que des heureux. Une oeuvre historique dans le virage tumultueux de la Chine contemporaine.
- Réalisateur : Hendrick Dusollier
- Genre : Documentaire
- Distributeur : Météore Films
- Durée : 59mn
- Date de sortie : 28 novembre 2018
- Festival : Cinéma du réel
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Résumé : Dans l’immense ville de Chongqing, le dernier des vieux quartiers est sur le point d’être démoli et ses habitants relogés. Le cinéaste se lie d’amitié avec le petit Zhou Hong et Madame Xue Lian, derniers témoins d’un monde bientôt disparu.
Notre avis : Shibati. Ce nom est celui d’un quartier ancien niché au cœur de Chongqing, cette métropole chinoise qui est, depuis quelques années, affublé du titre de « plus grande ville au monde ». Avec ses 82 401 km2, sa superficie se compare désormais à celles de l’Autriche ou de l’île d’Irlande. Comment Hendrick Dusollier s’est retrouvé avec sa caméra dans ces ruelles archaïques ? Il semble que ce cinéaste, qui s’est fait connaitre avec Obras - un court-métrage d’animation pas comme les autres car fait à base de prises de vue réelles -, ait eu un vrai coup de foudre pour ce dédale tortueux alors qu’il préparait un nouveau court-métrage au dispositif similaire (qui a depuis été monté et se nomme Babel) et le fait d’apprendre que cette dernière trace d’une Chine préindustrielle serait prochainement démolie lui a donné envie de lui consacrer un film.
- Capture d’écran (bande-annonce du film) © 2017 Les Films d’Ici. Tous droits réservés.
Il apparait dès les premières minutes que la méthode de travail de Dusollier consiste à se promener innocemment et à filmer discrètement des autochtones dont il ne parle pas la langue. Le résultat s’apparente inévitablement à une vidéo qu’aurait pu prendre un touriste –muni tout de même d’un bon matériel vidéo–, à deux différences près : d’abord, peu de voyageur occidentaux se seraient, par pure curiosité, aventurer dans ce vieux faubourg mal famé, et ensuite et surtout, ils auraient eu peu de chance d’y tomber quelques jours à peine avant que celui-ci ne soit rasé. Le fait de se plonger dans un tel film met le spectateur dans une situation d’immersion, et il ne lui faut pas plus d’une demi-heure pour sembler connaître Shibati et quelques-uns de ses habitants comme s’il s’y était lui-même promener. En cela, l’humilité du dispositif s’apparente à une réussite. Mais, là où le documentaire se révèle le plus marquant, c’est dans sa seconde demi-heure qui joue de la dichotomie vielle ville/nouvelle ville.
- © 2017 Les Films d’Ici. Tous droits réservés.
Que Dusollier revienne six mois plus tard – le temps pour lui de faire quelques progrès en mandarin – et qu’il retrouve trois des occupants du quartier désormais détruit, pose un regard critique très dur sur la situation de ces Chinois qui subissent de plein fouet la modernisation de leur pays. Trois habitants et trois générations pour qui la transformation de leur lieu de vie se traduit par un changement radical de mode de vie, de l’ordre de l’uniformisation. Le plus notable est assurément Zhou Hong, un gosse de sept ans, qui découvre le goût sucré du Coca-Cola, la frustration de voir ses parents scotchés devant la version locale de The Voice et les migraines que lui impose une promenade en métro... bref, le quotidien de beaucoup d’entre nous, en rupture brutale avec le bonheur qu’il affichait dans la vieille ville. Quelques très beaux cadrages apparentent de plus cette urbanisation galopante à une véritable menace, particulièrement oppressante.
Le parti pris de Dusollier de n’ajouter par-dessus aucune voix off qui viendrait nous renseigner sur localisation ou la politique locale a pour conséquence que la langue parlée par les gens qu’il filme est la seule limite à une universalisation de leur situation. Paradoxalement, ce non-discours est donc un argument à un discours que d’aucuns qualifieront de réactionnaire. Malgré ce flou dans lequel nous laisse (maladroitement ? rien n’est moins sûr) Dusollier quant à la finalité de sa démonstration, le choc de voir la disparition annoncée de la Chine ancestrale, et la voir victime d’une occidentalisation qui lui fait perdre son identité, trouve un écho estimable face à l’actualité tumultueuse. Sans doute ce moyen-métrage sera un jour considéré comme une marque importante de notre époque.
Récompenses : Prix de l’Institut français Louis Marcorelles et Prix des jeunes à la 39ème édition du festival du Cinéma du Réel - Prix du Jury au Festival du Moyen-métrage de Brive
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