Das Rechts auf Dasein (Le droit de vivre) - La critique

Spectaculaire et acrobatique, ignorant superbement la morale bourgeoise et ses préjugés, cette haletante course-poursuite est animée d’une dynamique irrépressible et continue d’émerveiller comme en 1913.

L’argument : A sa sortie de prison, Joseph Dermott se retrouve sans domicile. Errant dans les rues, il s’introduit dans une villa où il découvre une jeune femme étendue sans connaissances au pied d’un escalier. Il s’enfuit.
La police, croyant à une agression, mène son enquête et trouve les empreintes de Dermott sur les lieux du crime supposé. Un avis de recherche est lancé, assorti d’une promesse de récompense de 5000 Marks.
Des policiers reconnaissent Dermott dans un café à cause de la déformation de son petit doigt. Une course poursuite s’engage dans un quartier en construction de l’ouest de Berlin. Mais Dermott parvient à s’échapper et se réfugie dans l’appartement d’une amie.
Pendant ce temps la jeune femme, Edith, a repris connaissance mais ne se souvient pas de ce qui s’est passé.
A nouveau poursuivi, Dermott, après avoir sauté d’un train en marche, est recueilli sur le bord de la route par le médecin qui soigne justement sa supposée victime. Celle-ci a besoin d’une transfusion sanguine et c’est Dermott qui va lui donner son sang.

Notre avis : Dans la carrière de Karl Pick, alias Joseph Delmont, trapéziste, dompteur, acteur, caméraman, scénariste, metteur en scène, producteur et écrivain, Das Recht aufs Dasein, sorti au printemps de 1913, précède de quelques mois les magnifiques Auf einsamer Insel / Sur une île déserte et Der geheimnisvolle Klub / Le club mystérieux. C’est un pur film d’action consistant presque entièrement en une trépidante course poursuite.
Le héros, interprété par Delmont lui-même, est un faux coupable pré-hitchcockien (comme ceux de The 39 steps ou Young and innocent) cherchant à échapper aux policiers lancés à ses trousses pendant l’essentiel des trois quart d’heures de projection.

Das Recht aufs Dasein - Delmont - 1913

On le voit, dans la première séquence, sortir de prison sans que la moindre explication soit donnée pour justifier son statut de repris de justice, puis, par la suite, se réfugier dans l’appartement d’une jeune femme dont il n’est pas difficile de deviner le métier peu recommandable. Au mépris des préjugés, le spectateur est invité à s’identifier à ce sympathique protagoniste et espère ardemment que la jeune bourgeoise amnésique qui l’a mis involontairement en mauvaise posture retrouve la mémoire pour pouvoir disculper son soi-disant agresseur.
Delmont acteur fait montre de charisme et d’impressionnantes qualités acrobatiques. Le cinéaste, lui, sait créer des images fortes, chargées d’étrangeté, comme celle de la première rencontre entre le héros et la jeune femme étendue sans connaissance, tête en bas, au pied de l’escalier de la villa où il s’est introduit dans l’espoir de trouver un abris pour la nuit.
Il sait aussi superbement tirer parti de décors en extérieur, rues, canaux, échafaudages et immeubles en construction de l’Ouest berlinois, qu’ils ne réduit pas strictement à leur fonctionnalité dramatique, les laissant respirer, exister par eux mêmes.

Das Recht aufs Dasein - Delmont - 1913

Le langage est beaucoup plus articulé que dans la plupart des film préservés de l’époque. La variété des cadrages et l’efficacité dramatique d’un montage serré donnent à l’ensemble un allant, une dynamique étonnante : exposé quasi scientifique des méthodes d’investigation policières, nombreux gros plans et inserts (le héros cachant son visage derrière le menu dans le café mais trahi par son doigt déformé ; le miroir à la fenêtre permettant d’observer la rue depuis l’appartement de l’amie).
Dans les séquences de poursuites la caméra est constamment en mouvement, embarquant le spectateur dans l’action. Elle accompagne la descente de Dermott/Delmont agrippé à la cage d’ascenseur, pendant que les policiers, à l’intérieur, sont eux en train de monter. Elle est sur une péniche qui passe sous un pont et sur laquelle va sauter le héros que nous venons de voir enjamber le parapet. Elle le précède sur le toit du train en marche et l’observe en plongée lorsqu’il détache la locomotive.
Le puissance spectaculaire de ces séquences est restée intacte et la vivacité de ce film maintenant centenaire mais toujours saisissant continue d’émerveiller.

Joseph Delmont : Das Recht aufs Dasein (1913)