Dans un recoin de ce monde - la critique du film

Notre avis : Les ravages de la Seconde Guerre mondiale hantent encore et pour longtemps la mémoire collective japonaise. Les médias occidentaux se plaisaient encore à le rappeler mardi dernier, lorsqu’un missile nord-coréen a survolé le pays du soleil levant. Une part importante du cinéma d’animation japonais, avec en première ligne les œuvres de Hayao Miyazaki et Isao Takahata, continue de retourner, avec une obsession maladive, sous les tirs, les balles et les bombes des années 40, sans doute autant par devoir de mémoire qu’à des fins thérapeutiques. Avec Dans un recoin de ce monde, le réalisateur Sunao Katabuchi insuffle dans cette époque sanglante, dont il a fait une reconstitution historique rigoureuse, une part de rêve et de poésie, rendant par ailleurs un superbe hommage à l’art de l’animation.

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Mariée par arrangement à un jeune homme qu’elle connaît à peine, la jeune Suzu tente tant bien que mal de se faire une place au sein de sa belle-famille. Le conflit entre les Etats-Unis et le Japon est à son apogée. Les temps sont durs. Suzu n’a d’autre choix que d’aider ses beaux-parents dans les tâches domestiques, tandis que son époux Shûsaku, fonctionnaire à la base navale du port militaire de Kure, travaille pour subvenir aux besoins du foyer. Son imagination débordante, parfois déconcertante mais par-dessus tout réconfortante, exaspère sa belle-sœur mais réchauffe le cœur du reste de la famille. Les activités les plus simples et les plus anodines (éplucher les légumes, préparer le repas, faire les lits…) redonnent une part de liberté à ces esclaves et victimes de la guerre. Vivre sa vie normalement, malgré les dangers et la misère, voilà peut-être la plus belle forme de résistance aux conflits armés. Comme le rappelle Suzu : « Même en temps de guerre la cigale chante et le papillon vole. »

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Le quotidien n’est pas le seul refuge de Suzu. Il y a aussi celui du dessin, qui lui permet d’imaginer, de créer, de s’inventer une vie ailleurs, loin des bombardements. Preuve que la culture et l’art sont aussi des moyens de résistance, d’affranchissement. Cette passion du dessin est autant celle de l’héroïne du film que celle du cinéaste qui le réalise. En mettant simultanément en abyme les arts du dessin et de l’animation, Sunao Katabuchi crie son amour au cinéma, mais aussi au manga (rappelons que Dans un recoin de ce monde est l’adaptation d’un manga de Fumiyo Kuno) : par moment, une feuille blanche recouvre l’écran, que des dessins tracés à la main, au crayon de couleur, viennent tapisser sans aucun artifice.
Un pied dans la réalité, l’autre dans les nuages, voguant avec les bateaux, volant avec les oiseaux, Katabuchi fait l’éloge de ce cinéma d’animation japonais consciencieux et empreint d’imaginaire que nous aimons tant.