Le 28 juin 2019


- Scénariste : Ibn Al Rabin>
- Dessinateur : Ibn Al Rabin
- Editeur : Atrabile
- Date de sortie : 20 mars 2003
De l’absurde exponentiel, jusqu’au format.
La petite maison d’édition suisse Atrabile est décidément l’une des structures les plus passionnantes du moment. Après nous avoir permis de suivre les Promenade(s) de Wazem, après nous avoir présenté Frederik Peeters et ses bouleversantes Pilules bleues, après la découverte de l’extraordinaire et méconnu Jason - Attends... est une des plus belles publications de ces dernières années -, voici une nouvelle étape dans son exigeante entreprise de défrichage : Ibn Al Rabin et son surprenant Cot Cot en format nain.
L’intrigue tient en une ligne : le fermier s’ennuie à mourir, tue ses poules sur un coup de folie et s’en va avec sa vache. On avait pu avoir un avant-goût du travail d’Ibn Al Rabin dans la revue d’Atrabile, Bile Noire. On y décelait déjà son attachement au dérisoire, à l’absurde, au baroque quotidien, s’appuyant sur nos gestes ou nos codes ordinaires. Cot Cot se place dans les même tons en quatre courts chapitres, sur un format à peine plus grand qu’un passeport.
Ainsi, l’idée de solitude est portée à son paroxysme par une disposition mathématique des cases qui donne le tournis. L’environnement commun de la ferme devient psychotique lorsque le "cot cot" des poules envahit les cases, pour les alourdir, jusqu’à faire effondrer la planche sur la tête du paysan. C’est alors la plongée dans le surréalisme : le carnage des poules et la vache, pour sauver sa peau, qui désarçonne l’homme en imitant le cri de la gallinacée. C’est le retour sur terre du garçon vacher, qui prend de plein fouet conscience de l’aberrant, de la platitude d’une vie. S’ébauche un road-movie où l’on apprend que la vache sait aussi compter. Pour s’achever aussitôt par un final digne de Beckett.
Puisque ce qui intéresse Ibn Al Rabin n’est pas la méticulosité de l’expression d’un visage, la précision d’un décor ou toute autre forme de démonstration graphique, puisqu’il recherche en permanence l’atmosphère et ses marges, ou les déclinaisons de l’absurde, il semble logique de le voir prendre des distances avec le figuratif, pour mieux se consacrer au thème et ses sensations. Le cow-boy n’est donc qu’une masse noire, la poule une tâche d’encre hérissée de pics. Les mécanismes d’identification du lecteur sont alors démultipliés, facilitant la greffe de ses propres expériences visuelles. Et son immersion dans ce livre étonnant.
En conclusion, un seul mot d’ordre : ne perdons pas Genève de vue.
28 pages - 4,50 €